Ajuster
Desserrer les poings pour épeler les prières qu’on garde au fond des paumes.
Glisser dans nos fissures, en éprouver les contours
J’ai embrassé des failles, des armes pointées vers le cœur et des gens qui tressent des amarres avec des pointillés.
J’ai appris à recevoir. Il me reste encore à accepter.
Lundi 9 janvier 2023.
Ce soir j’ai fait l’expérience étrange de la sérénité, oserais-je dire, du bonheur ? Mais je n’ai pas été capable d’aller au bout de cette rencontre, quoiqu’elle me réchauffe toujours, et qu’elle irradie jusque dans mes doigts, jusqu’à mes lèvres qu’un sourire étire encore.
Je suis entrée dans la douche et me suis placée sous l’eau brûlante. Et c’est tout. Le soulagement qui m’a envahie, la sensation de mes muscles qui se dénouaient, la gaieté enfantine de contempler le chat rangé bien sagement sur le tapis, la fourrure constellée de gouttelettes, m’ont emplie d’une joie que rien n’est venu entacher. Le cœur ouvert, et la tête vide.
Puis j’ai pensé : « j’ai envie d’une tisane, celle qui a un goût ample et rassérénant, et peut-être, tiens, d’un livre et de deux plaids. »
Et j’ai ouvert une bière.
Écrire c’est négocier
J’avais prévu de fuir, tu comprends. Je ne savais pas quoi faire de cet espace qui n’avait pas besoin d’être comblé. Alors plutôt que d’aller jouer à Skyrim comme je l’avais planifié, je me suis retrouvée ici, parce que je ne voulais pas perdre cette sensation d’apaisement mais que j’avais déjà bifurqué en direction de l’oubli.
Je suis venue jeter une ancre.
Je suis venue écrire que j’avais failli que peut-être il y avait une porte de sortie, que je n’avais pas osé la franchir mais qu’elle était là, qu’il suffisait d’un pas et que peut-être la prochaine fois je me demanderai vraiment « et pourquoi pas ? »
Écrire c’est poser des « pour » et des « contre », dont la seule cible est soi-même. Il s’agit moins de se justifier que de se démêler. J’ai ouvert une bière mais je n’ai pas fui. Je suis là devant ma culpabilité, ma fatigue et les mots qui reviennent ; je ne peux pas assurer qu’ils se seraient tus si je n’avais pas bu, ni que je n’aurais pas eu l’impression de mentir par évitement.
Ou juste se souvenir
Ce matin, il faisait encore nuit, la tempête jetait des trombes d’eau sur les vitres et la maison craquait. J’étais réveillée trop tôt, mais j’éprouvais le poids du chat pelotonné au milieu du lit, et me suis sentie réconfortée par sa présence, parce que ce n’était définitivement pas un temps à mettre un Kitsu dehors.
Plus tard, j’ai pris la route de la côte. Il y avait une ambulance (sans gyrophares) derrière moi, qui me serrait de trop près à mon goût, mais je ne pouvais pas accélérer. Je roulais droit vers la falaise et l’îlot du Verdelet, hachurés de pluie. Si j’avais bifurqué à gauche, j’aurais trouvé le pied de l’arc-en-ciel déployé au-dessus de la campagne. Tout le reste du paysage était illuminé par ce ciel ardoise qui en exacerbe les couleurs. C’était magnifique.
Mercredi 11 janvier 2023.
Hier, j’ai tourné à gauche.
Inspire. Expire. Un. Inspire. Expire. Deux. Inspire. Expire. Trois.
Quatre.
Cinq.
Un.
Quand j’ai rouvert les yeux, une mouette voguait sur la mer un tantinet agitée. Elle semblait pédaler sans trop d’efforts sur la crête des vagues ; je ne pouvais pas ne pas croire qu’elle était là, un peu, pour moi. « On ne reçoit de signes que ceux qu’on est prêt à voir. »
Je suis remontée dans ma voiture avec mes bottes brodées couvertes de sable, j’ai bu une gorgée de café (mug offert par ma sœur qui se case dans le porte-gobelet de ma voiture (reconnaissance, 1 & 2), me suis dit que j’inscrirai « la mouette » dans ma liste de gratitude (3), et ai fredonné L’Aventurier que diffusait Nostalgie (4). Je suis arrivée au collège les larmes aux yeux parce que la chanson suivante était L’encre de tes yeux, que la mer m’avait apaisée et que j’étais effarée de constater que c’est tout ce qui compte. Et que peut-être c’est plus facile à vivre que ce que je croyais (5, 6, 7, 8).
Dissolution : passage à l’état de solution
Vendredi 13 janvier 2023.
Arrive le moment où je suis couchée dans l’herbe et je regarde défiler les nuages.
Il y a quelques jours, je ne croyais pas qu’ « ajuster » fasse un bon guide. Mais je suis tombée, comme toujours – jamais au même moment, jamais au même endroit – et avant que ça arrive il murmurait déjà, je savais qu’il s’agirait de ça, et pas de croire ni d’être (ha ! « être », quelle blague.)
Épouser, c’est vrai, prendra ma vie. C’est pour ça qu’il est l’heure de tempérer.
Je suppose que je roulais sur la réserve depuis un moment, et je sens au fond de mes tripes que je n’ai pas d’autre choix que d’arrêter de courir. Ce que je fuis me rattrapera toujours, et moi je m’épuise.
Mardi 17 janvier 2023
Voici ce que j’ai appris ces derniers jours (et dont j’essaie de me souvenir) :
– je peux me passer d’alcool.
– Il y a des habitudes quotidiennes que je n’arrive pas à adopter parce qu’elles ne me conviennent pas (écrire mon journal. Je passe assez de temps ici, je ne ressens ni l’envie ni le devoir de me regarder davantage.)
– Il y en a d’autres que je peine à intégrer par manque d’organisation (manger un fruit, boire au minimum un litre d’eau par jour, faire du sport – ça c’est juste mort.)
– Vouloir introduire trop de nouveaux rituels à mes journées, c’est la manière la plus sûre de n’en réaliser aucun.
Mais je peux ajuster. Pas seulement le poids des habitudes à assimiler, mais la façon dont je me prends en compte. Pour le dire autrement, épouser ce n’est pas seulement couler au fond de mes émotions, c’est me refaçonner autour.
J’ai resserré ma liste de rituels quotidiens autour des « tâches » suivantes :
– prendre un petit déjeuner,
– lire,
– prendre une photo,
– prendre l’air,
– boire au moins un litre d’eau par jour,
– faire trois (oui, trois :P) étirements,
– méditer.
Mercredi 18 janvier 2023.
Et j’ai appris que si certains jours, comme aujourd’hui, je n’en réalisais aucune, ce n’était pas grave. Aujourd’hui j’étais en formation, je n’ai pris aucune photo, et j’ai pris l’air sur le quai de la gare parce que mon train avait quinze minutes de retard (parce qu’IL Y AVAIT DE LA NEIGE !) Ma journée m’a paru parfaite comme cela.
Catalyse
20-21 janvier 2023.
En début de semaine, j’ai lu Soie d’Alessandro Baricco. Entre deux pages, j’ai trouvé une lettre, dans une enveloppe pointillée d’ocre et de gris, comme si elle était couverte de sable mouillé. Dans le coin gauche, des silhouettes familières d’oiseaux à l’encre noire. Au milieu, un mot tracé au stylo-plume d’une écriture qui se cherche encore : « Maman ».
Cette lettre, je l’ai déposée il y a vingt-cinq ans sur la tablette au-dessus du lavabo de la salle de bain.
« PS : s’il te plaît, ne le dis pas à Papa »
On ne voit de signes que ceux qu’on veut recevoir. Cette lettre révèle encore un parfum de Bohême. Ma mère n’a pas fini le livre, mais elle a gardé ma missive emphatique et maladroite en marque-page, et voilà qu’elle me revient.
Elle me rappelle qui j’étais en quatrième – une gosse, une drama-queen anxieuse, une fille à sa maman – c’est ce que je voulais y lire. Et elle me dit que ma maman, qui n’a jamais mentionné cette lettre ni son contenu, l’avait lue et préservée.
Elle me dit que tout passe, mais que nos vies spiralent et s’enchevêtrent. Et que c’est ce qui leur donne du sens.
5 commentaires
Tu t’en doutes, j’aime si fort ces articles.
♥
En effet, se fixer des objectifs c’est bien. Ne pas culpabiliser si on les zappe de temps en temps, c’est vraiment pas grave. Et ce n’est vraiment pas une chose facile à faire.
Retrouver des lettres dans des livres 🧡
[…] janvier et juin. Qui défilent aller-retour à travers le pare-brise, fast forward. En janvier la spirale. En février la fatigue. En mars la gratitude et le dépaysement. En avril la libération, la […]
[…] dans une pièce surchauffée. J’ai vécu vite, fort, à l’abri au centre d’une spirale d’oubli et d’ivresse savamment dirigée vers l’horizon, zigzagant entre les […]