Aléthiométrie variable
Un jour oui, un jour non, mon cerveau n’est jamais d’accord avec lui-même.
Je ne sais pas écrire la joie, ni la gratitude, si ce n’est sous forme de listes, qui sont si à la mode, comme si face au bonheur on perdait nos mots, comme s’il était plus indécent de se prétendre heureux que de se rouler dans nos cauchemars.
J’ai raconté Fureur, j’ai crucifié Angoisse en place publique, j’ai affiché mes pensées les plus sombres, et aujourd’hui j’hésite à crier que je suis heureuse et soulagée ?
Je n’ai pas envie d’être factuelle, pas envie de chuchoter, d’aplanir, d’arrondir ; de ne pas faire de vagues au cas où mes remous dérangeraient. C’est une question que je ne me pose jamais quand il s’agit d’écrire que je suis triste. Comme si, mélancolique, je m’estimais moins bruyante ou moins vantarde.
Le fait est que j’ai beau retourner tout ça, la joie me semble une chose circonstancielle, tandis que le vague à l’âme me paraît beaucoup plus existentiel.
Le bonheur, c’est autre chose. Je crois pouvoir affirmer que je me sens heureuse même quand je suis triste. J’aime être en vie, même si ça veut dire pleurer devant la mer ou hurler en silence sous les étoiles.
Là je voudrais mettre des mots sur des accomplissements, simplement me souvenir que j’ai réussi, jeter une ancre, tu vois ? Mais je ne trouve pas de phrase dont le rythme convienne. Pas de métaphores, pas de lierre, juste des faits et des définitions. Et ça danse, ça fanfaronne et ça forfante, rodomontades et escalades, salades, foutaises.
Strange mind, strange eyes
Restless nights in endless lies
Est-ce si sûr, que ma joie est surtout due au hasard ? Est-ce qu’au fond ce ne sont pas plutôt ma peine et ma colère qui relèvent du contexte ?
C’est pour ça que c’est si difficile à écrire, non ? Broder des histoires, ça m’est plus facile que de me raconter sans fard.
Récit n°1 : en eaux troubles
Nuit du 13 au 14 mars.
Je suis avec une jolie fille sexy, cuir et résille, cheveux noirs, mais je ne me souviens pas si c’est elle que je fuis ou si c’est une troisième protagoniste qui me fait peur. Toujours est-il que nous courons dans des couloirs sans fenêtres qui ne donnent sur aucune pièce, et que nous voilà sur une corniche métallique, avec une échelle de meunier qui descend vers plusieurs niveaux remplis d’eau. Là où le reste de l’édifice bénéficiait d’une lumière plutôt chaude, ici, la tonalité est sombre, gris-vert. L’espace rempli d’eau est étroit, un pilier en béton le traverse, et trois orques y patientent, les unes sous les autres, laissant présager des mètres et des mètres de profondeur. Je ne. veux. pas. descendre. Je sais qu’il y a aussi un requin. Demi-tour, nouvelles course éperdue dans les mêmes couloirs, retour à la piscine remplie d’orques. Je me réveille en sursaut, à cause de l’alarme programmée ou de la tempête, je ne sais plus.
Alors. Imaginons que j’aie été confrontée à un défi de bien moindre importance. Un truc qui me faisait peur mais dont l’enjeu n’était pas de survivre. Je m’y suis prise de différentes manières. Je suis passée par toutes les couleurs, toutes les humeurs. J’ai fui à plusieurs reprises, me suis retrouvée acculée quelques fois, à force. J’ai biaisé. Mais tout ce que j’ai fait, d’une façon ou d’un autre, ça m’a amenée au bout du parcours, où m’attendait une dernière épreuve. Celle-là, je l’ai affrontée avec calme. Tout mon stress a disparu dès lors que j’y étais, parce que j’étais à ma place. Je savais, je sentais, que je ne pouvais pas être ailleurs ni faire autre chose. Et ça c’est bien passé. Je ne le savais pas, sur le moment : genre le sphinx m’avait laissée partir, sans commentaire, et je me demandais ce qu’il allait écrire dans son rapport. Apparemment, il a dit que ça avait été une belle rencontre et qu’il aimerait que ça se déroule plus souvent comme ça.
Après ça, je me suis sentie délivrée et surtout, légitimée. Pour la première fois, de ma vie je crois, j’ai eu la sensation d’être reconnue, et je ne veux pas dire par là que je n’en avais pas déjà eu l’intuition, mais que là, c’est officiel, ce ne sont pas « juste » les ptites têtes choupi, ou les gens qui ne savent pas s’ils ont raison de me soutenir, c’est la Hiérarchie, tu vois, c’est la fin d’un parcours et le début d’un autre.
Récit n°2 : en eaux claires
Mercredi dernier, je rentrais de Châteaulin. J’ai de nouveau entendu Enzo Enzo, tu sais, le truc qui n’arrive jamais. Dans ma tête, j’ai demandé à maman : « tes pas t’ont-ils portée ici ? » (puisque cette chanson, c’est désormais toujours en Finistère.)
Je me sentais limpide et transparente, parce que la formation d’où je revenais n’a rien d’un cours et tout de la réunion des Émotifs Anonymes. Ce n’est pas du tout le but, à la base, puisqu’il s’agit d’une session d’analyse de pratique, mais le fait est que ça remue et que clairement c’est une soupape. C’est rare, un espace où des gens qui ne se connaissent pas se sentent autorisés à ouvrir les vannes. La formatrice y est pour beaucoup si ce n’est tout ; j’aimerais devenir une personne comme elle, sans avoir encore la patience ni la force de me transformer en clef plutôt que de participer au courant qui s’engouffre par la porte.
Encore des spirales
Des itérations en boucle se dessinent ces derniers mois : je parle souvent, très souvent, sur ce blog, du fait que tout passe, et oscille à ce propos entre la sérénité et l’agacement. Me relisant aujourd’hui, mes errances à ce propos m’ont sauté aux yeux.
La paix ne m’est jamais acquise, et j’ai tôt fait de l’oublier, et de retomber dans mes travers.
Le chœur
Pas hyper bien réveillée, j’appelle mon père, qui me transmet son stress si bien que j’en ai les entrailles nouées et que je me retrouve un temps incapable de faire quoi que ce soit. Ce n’est qu’un rappel des nombreuses sirènes qui me hurlent aux oreilles depuis quelques jours. L’anxiété, la fatigue, tout le tralala, sauf que je sais toujours pas le gérer, en fait. Aujourd’hui, j’ai foutu l’intégralité d’une classe de troisièmes dehors cinq minutes avant la fin du cours. J’ai donc manqué juste après de la patience la plus élémentaire auprès de cinquièmes aussi choupinous que d’habitude.
Demain matin, je prends le train pour dix heures de trajet en direction de Wiesbaden, en compagnie d’élèves encore plus stressés que moi à l’idée de passer la semaine dans la famille de leur correspondant, dont ils parlent à peine la langue. Tu sais quoi, je suis à côté de mes pompes et ce billet n’a pas de fin, mais vu son titre, c’est sans doute le moment idéal pour le clôturer.
J’me dirais à moi-même
Que si j’me r’connais pas
Que si je suis plus la même
C’est peut-être grâce à moi
Adé – Tout savoir – Et alors ? – 2022.
3 commentaires
Bonne semaine malgré le stress. Personnellement, je vais avoir du mal à te rassurer ou te démontrer qu’écrire sur le bonheur, c’est hyper facile car ce n’est pas ma thématique actuelle ^^ (bien que les choses aillent mieux)
Dans tes rêves, enfin du moins, deux que tu as racontés ici, la thématique aquatique et de la bête sous-marine revient…
Oui, c’était une bonne semaine, et j’espère ne pas t’avoir heurtée car c’est précisément ce que j’essayais d’éviter !
Les bêtes sous-marines, c’est une vieille histoire, oui… Elles sont toujours dans mes rêves les plus terrifiants, mais je suis obligée d’avouer qu’elles me manquent quand je n’en rêve plus.
Oh non, non t’inquiète ! on se sent un peu moins seule ;)
A force, c’est devenu rassurant quelque part cette récurrence…