Angoisses marescentes
Dans la mare, des reflets évanescents de futurs possibles et de présents imputrescibles.
Jeudi 3 juin 2021
Ce matin, j’ai réalisé qu’il me fallait vraiment peu de choses pour me sentir anxieuse et j’ai essayé de démonter tout ça avec Ubik. Il est très bienveillant avec moi, ce qui fait qu’il se contente de me proposer des solutions, en toute simplicité, et c’est hyper agréable. Il n’empêche qu’au-delà de ses conseils, je pense que j’ai un chouïa de boulot à effectuer sur moi-même !
Donc. Hier, quand je suis arrivée sur le parking du lycée, ma voiture s’est mise à fumer. Un brin de panique, odeur de plastique brûlé, je cours sur le goudron en bon cliché féminin, à la recherche d’un homme qui s’y connaisse en moteur (c’est vrai.) Chuis tombée sur Bernard, c’est le prof de théâtre, je l’adore. Il n’y connaissait rien mais n’avait pas l’intention de me laisser tomber. C’est clairement mon papa sur le campus (il en a l’âge et il est plus bienveillant que le mien. Bon, sauf quand j’ai dit que j’avais faim et qu’il m’a répondu « oh bah ça va, t’as de la réserve !* » :D)
Bref : cours annulé, téléphone (t’ai-je déjà dit que j’avais HORREUR du téléphone ?), attente de la dépanneuse.
Après ça, j’ai eu cours, et puis conseil de classe. Ensuite y’avait ce matin, j’avais pas cours, MAIS. J’ai dû rappeler le garage, leur demander de me prêter une voiture, et aller au marché toute seule, au volant de ma voiture d’emprunt.
Je te vois, en train de rigoler.
Me réveillant les entrailles nouées et voyant mon anxiété grandir au fur et à mesure de la matinée, j’ai inspiré expiré deux trois fois, regardé mon absence de reflet dans l’écran du pc, et posé cette simple question : c’est quoi le problème, meuf ?
Réponse : ah mais mon dieu tout est chamboulé, je vais devoir conduire une voiture inconnue pour aller au marché sans Ubik qui a trop de boulot, et donc gérer l’heure, parce que d’habitude on va au marché mais pas au garage, et en plus y’a Olivia et surtout sa mère, là, elle me fait chier, c’est moi qui ai raison, mais elle va appeler la direction et je vais devoir m’expliquer, en plus il faut que je pense à m’inscrire en formation, oui je sais ça fait trois semaines et je l’ai pas fait parce que j’ai jusqu’au treize et que je veux faire ça bien, et puis ce soir y’a encore conseil de classe, faut que je réfléchisse, quand est-ce que je fais les courses, avec cette voiture qui n’est pas la mienne ?
Too much unexpected things makes Nath a stupid girl.
Hier, j’ai dit : « bon, vu l’heure, y’a plus le choix : Ubik doit venir me chercher avec sa voiture, nous ramener à la maison, là je repars en conseil de classe, et lui va faire les courses. » Sans bagnole. OKLM. Ben oui, Nath, c’est logique !!
Nan mais, j’ai un vrai problème avec la logique. Lui, il est gentil, il m’a dit : « arrête de paniquer. T’as le droit de prendre le temps de réfléchir, personne t’en voudra, et si c’est le cas, tu les emmerdes. » D’accord, mais je devrais pas avoir besoin de réfléchir pour éviter de sortir des conneries pareilles !
Au final, j’ai tout bien fait, Ubik s’est foutu de ma gueule parce que j’étais contente d’avoir trouvé toute seule la marche arrière, et j’ai rétrogradé à propos du zéro d’Olivia, parce que son prof principal m’a dit : « c’est pour toi, ça va durer, cette affaire. » Fuck. FUCK, FUCK, FUCK !
Je suis anxieuse chaque fois que la journée ne se déroule pas comme prévu. En vrai, je suis hyper adaptable, très rapidement. Une fois, pas deux. Tu me dis en début d’année « c’est comme ça que ça va se passer », même si c’est pas du tout comme l’année dernière, très bien, j’suis contente. Mais tu peux pas me faire passer en un claquement de doigt de « t’as cours avec tes secondes » à « finalement tu dois appeler ton assurance auto. » J’avais les mains qui tremblaient quand j’ai dit aux élèves dans la cour « bon… vous allez sans doute aller manger en avance », et c’était pas parce que je culpabilisais. Ils s’en foutaient, eux, en plus, je dirais même qu’ils étaient ravis. Moi, en revanche, j’étais en mode « oh lala ! Vas-y, formule une phrase ! » et je faisais que bégayer. Ils sont gentils, mes élèves.
Dimanche 6 juin
Chaque évocation d’un couvent, d’un monastère, d’un lieu de culte dans lequel on se retire, convoque en moi un sentiment de calme. Comme si une force supérieure me recouvrait, comme si un voile tombait sur moi. Je m’interroge beaucoup sur cette fascination et mon incapacité à la concrétiser dans mon quotidien. Comment créer en moi ce sanctuaire intérieur ?
Pour l’instant, j’ai une île, un refuge. Mais je crois qu’au centre, se dresse un temple, dont la localisation m’est pour l’instant inconnue, et dont les portes me sont de toute façon fermées.
Mercredi 9 juin
Et c’est comme ça que j’en suis arrivée à chercher une formation – en ligne – ah et euh, gratuite – que j’ai évidemment pas trouvée. Je veux de la discipline. Je veux recommencer à apprendre des choses, théoriques, surtout. Je veux me gaver de mots, réciter de la philosophie sur le bout des doigts et citer mes classiques de mémoire.
(Un peu de savoir pratique ne serait pas de trop non plus : l’osthéo m’a débloqué des cervicales que je savais rigides sans en souffrir, et j’ai l’impression d’avoir gagné une liberté de mouvement complètement dingue.)
Mais pour ça j’ai besoin de rituels que je suis incapable de m’imposer à moi-même. Je suis faible. J’ai pas bu pendant deux jours et tu sais quoi ? Aujourd’hui j’ai eu mal au bide comme après ma pire ingurgitation de bière. Alors ce soir, j’ai bu (du vin.) Parce que j’ai trop douillé pour avoir profité de ma journée et que c’est une partie de ce que je fuis avec l’alcool. Rêvassant devant la promesse des soins relaxants affichés dans la vitrine d’Yves Rocher, j’ai réalisé que j’aspirais à un calme que je ne trouverai pas qu’en moi-même.
Du coup, j’ai téléchargé la listes des lectures, conseillées et obligatoires, avant la rentrée en hypokhâgne en septembre, et décidé non seulement de me les enfiler, mais de les ficher et commenter comme si j’étais encore étudiante. J’ai envie qu’on m’enchaîne et qu’on me fouette mentalement, mais j’ai presque trente-sept ans et personne ne va le faire pour moi. Et si j’avais eu dix-huit ans… Je n’aurais jamais accepté ça. Je ne l’ai jamais accepté. Je suis certaine que j’en aurais eu les moyens, mais je ne souhaitais qu’une chose : qu’on me foute la paix. Je crois que personne ne s’y est jamais trompé puisqu’aucun prof ne me l’a jamais proposé. Et voilà qu’aujourd’hui, j’ai envie qu’on me passe le mors aux dents, parce que si je dois rentrer dans le temple, ce sera à genoux, avec une paume autoritaire posée sur mon front pour m’obliger à baisser la tête. Si tu me lis, Eli, c’est sans doute ce que de mon point de vue extérieur j’admire le plus chez toi : la discipline de fer à laquelle tu sembles capable de t’astreindre et dans laquelle tu parais, bon an mal an, trouver une forme d’illumination. Je voudrais me faire moniale, mais ne suis jamais plus qu’une punk.
Et c’est aussi comme ça que je suis retournée 22 ans en arrière.
En ce moment, je lis L’Arbre-monde de Richard Powers. Les premiers chapitres sont chacun consacrés à un personnage, et l’écrivain parcourt leur vie – jusqu’à un instant X qui aboutit leur passé comme leur futur – à la manière d’un Steinbeck. J’y vois (évidemment) une résonnance avec cet aujourd’hui que sans inventer j’ai vu monter en moi. « Évidemment », parce qu’on ne voit de signes que ceux qui nous parlent.
Si j’avais pu voir qu’un jour je serai qui tu hantes.
Je n’invente pas, ni ne me vante ; c’est jamais bon signe de traîner dans le grenier. C’est pas mal, non plus, y’a que les cons qui ne se souviennent pas. Y’a 22 ans, j’étais là :
L’album, Innamoramento, me trigger chaque fois que je le vois dans ma cd-thèque, et s’il me trigger c’est pour L’Amour naissant, dont la mélodie n’a cessé de m’habiter, et Je n’ai pas le temps de vivre, dont c’est le texte qui me hante, mais aussi tous les autres morceaux, qui me reviennent en boucle dans une sorte de mélopée que j’associe autant à l’ascétisme qu’à la fièvre.
Il est des heures, où
Les ombres se dissipent
La douleur se fige
Il est des heures, où
Quand l’être s’invincible
La lèpre s’incline
Mais
Si j’avais pu voir qu’un jour
Je serais qui tu hantes
Qu’il me faudrait là, ton souffle,
Pour vaincre l’incertitude
Écrouer ma solitude
Il est des heures, où
Les notes se détachent
Les larmes s’effacent
Il est des heures, où
Quand la lune est si pâle
L’être se monacale
Mais
Je erre comme une lumière
Que le vent a éteinte
Mes nuits n’ont plus de paupières
Pour soulager une à une,
Mes peurs de n’être plus qu’une
Je n’ai pas le temps de vivre
Quand s’enfuit mon équilibre
Je n’ai pas le temps de vivre
Aime-moi, entre en moi
Dis-moi les mots qui rendent ivres
Dis-moi que la nuit se déguise
Tu vois, je suis
Comme la mer qui se retire, de
N’avoir pas su trouver tes pas
Il est des heures, où
Mes pensées sont si faibles
Un marbre sans veines
Il est des heures, où
L’on est plus de ce monde
L’ombre de son ombre
Dis
De quelle clef ai-je besoin
Pour rencontrer ton astre
Il me faudrait là, ta main,
Pour étreindre une à une
Mes peurs de n’être plus qu’une
Ce que j’essaie de dire, c’est que tout me ramène ici, sur la plage irisée d’écume. La question demeure. Suis-je ou serai-je petite sirène, ou vénus ?
2 commentaires
Coucou,
Pour les formations les Moocs c’est pas gratuit ? Alors après j’imagine que c’est pas très cadré… Sinon la liste de lecture c’est une bonne idée :)
Moi aussi j’ai tendance à angoisser pour des trucs pas importants, chez moi c’est lié la plupart du temps à mon anxiété sociale. (on va finir comme notre tante Régine faut qu’on fasse gaffe :D)
J’imagine qu’on négocie comme on peut avec ça, et que des fois ça aboutit simplement à des journées un peu chaotiques et à des appels de détresse stupides à l’homme de service ;D (que ce soit le nôtre ou celui que tu crois qu’il peut identifié tes soucis mécaniques :D)
En vrai j’crois que y a pas mal de gens qui angoissent pour un oui ou pour un non.
Enfin c’est un truc complexe l’anxiété, de manière générale, trouver un équilibre dans sa vie. Ça peut passer par plein de trucs, dont des cosmétiques Yves Rocher. Perso quand je sens les choses m’échapper, je fais le ménage et je m’occupe de moi. Et puis, j’ai horreur des cadres alors c’est différent, mais l’une des principales raisons pour lesquelles j’apprends le japonais, c’est parce que j’aime, et j’ai besoin, d’apprendre des choses. J’ai besoin d’être stimulée intellectuellement, sinon je m’étiole très vite. Alors apprendre de nouveaux trucs pour moi c’est hyper thérapeutique. Je suis certaine que toute ma vie, je serai sans arrêt en train d’apprendre un truc à côté des mes autres activités habituelles. Si c’est pas encore une autre langue, peut-être que ça sera un cursus d’anthropo ou de philo à suivre en distanciel parce que j’adore vivre seule et selon mon propre rythme.
Ouais, j’crois que trouver un équilibre, ça passe aussi par une longue phase où faut arriver à identifier les trucs qui fonctionnent pour soi, et ceux qui fonctionnent pas. Après ça fait une bonne base pour travailler et avancer :)
Et pour la dernière question, je vote petite sirène :D
[…] donné envie d’écrire à nouveau sur des sujets que j’ai déjà abordés, notamment ici. Le premier : un orage […]