Antidotes
Contre la frustration et la contrariété : la gratitude.
Contre la colère : la hauteur.
Contre la tristesse : le partage.
Samedi 30 novembre
J’ai passé une semaine d’autant plus merdique que je l’avais prévue douce. J’ai tendance à croire que si je veux quelque chose, ça doit se passer comme je l’avais planifié, et je vis très mal qu’un élément extérieur vienne perturber mes plans.
Le premier élément était mécanique : mon portable neuf qui tombe en rade. Ensuite la lampe à aurores s’est mise à répéter « bluetooth mode » et à clignoter. Respire, Nath, c’est que du matériel et t’es blottie sous une couette.
Le deuxième élément était pas du tout matériel. Je sais pas comment expliquer. Quelqu’une m’a joué la partition du « t’es complètement folle ma fille » tout en me susurrant « t’es trop conne » de manière à ce que seule moi l’entende. J’arrive même pas à savoir si elle a fait exprès, y’a trop d’égo de part et d’autre. Le sien était blessé de ce que je lui dise qu’elle avait merdé, le mien l’était de ses sous-entendus. Une semaine plus tard et autant d’heures d’introspection plus tard, je ne lâcherai pas : elle avait tort et moi non. Ça aurait dû me suffire mais pas du tout. Les accusations étaient injustes mais c’est moi qui ai dû m’en expliquer.
Être méjugée me tétanise. Il arrive – souvent – que ce soit moi la fautive. Je n’ai pas tenu mes engagements. J’ai été maladroite. Il arrive que je ne fasse pas quelque chose que j’ai promis de faire et je présente mes excuses, même si ça ne change rien. Hier, j’ai blessé sans le faire exprès une élève de cinquième. Je lui ai demandé pardon à elle aussi. Je ne sais pas ce que ça vaut pour elle, mais je l’ai fait. J’ai eu honte, comme j’ai eu honte lors de ma discussion avec Johanne et Antoine (parce que je ne savais pas quoi dire et que j’ai dit n’importe quoi), comme j’ai eu honte quand Mourad est venu me parler tout à l’heure et que je n’ai pas percuté qu’il me parlait de mon message de condoléance et pas de notre imbroglio de salles, et que j’ai répondu complètement à côté.
Mais que. On imagine. Que je suis une mauvaise prof. Parce que C. a transféré UN message de parent inquiet à la direction plutôt qu’à moi. Alors que ça arrive tout le temps, les messages de parents inquiets. Et que je sois convoquée pour discuter de ma relation aux premières st2s avec qui tout se passe bien.
Tout s’écroule.
Je le sais, pourtant, que j’ai raison.
Alors quand Madame B. m’a envoyé un dernier message pour me remercier d’avoir pris le temps avec son fils, et que tout allait bien désormais, je l’ai transféré à C. et à mon directeur, par pure mesquinerie. Parce que c’était pas envisageable qu’ils restent sur cette impression que j’avais failli. Et parce que C. devait payer pour m’avoir cartouchée dans le dos. Je voulais qu’elle sache à quel point elle s’était trompée sur moi, et je le voulais d’autant plus que j’ai tellement pas su gérer ce que cette histoire avait fait naître en moi que j’ai trop bu un soir, que j’ai oublié de mettre mon réveil un autre, et que j’ai passé une semaine d’autant plus merdique que je l’avais prévue douce.
Le directeur adjoint m’a dit lors de notre rencontre « C. est fragile en ce moment, pour certaines raisons ». C’est bien la première fois que je me permets de répondre « oui bah moi aussi », et ça je le dois aux collègues à qui j’en ai parlé, parce que ça a fait exploser un truc. C’est pas parce que tu ne dis rien que tu ne traverses rien. Ma compassion s’éteint quand on m’attaque, parce que moi aussi je douille, chérie, j’en ai juste parlé à personne, et ça ne justifie RIEN.
Tu la vois, la colère ?
J’ai failli appeler la psy, cette semaine. Terrassée par cette évidence : je ne sais pas gérer mes émotions. L’angoisse, j’ai appris. Les autres ? Un tsunami. Le jeudi, S. m’a regardée avec un air de connivence et m’a dit : « c’était un acte manqué, cette histoire de réveil, non ? »
J’ai parlé à beaucoup de gens, cette semaine. Bien sûr ils n’ont que ma version. Et tu sais quoi, j’en suis bien contente, c’est normal que pour une fois ce soit ma version à moi, sans les circonvolutions, sans l’empathie de bon aloi, sans les « évidemment j’ai dû dire un truc qui », parce que C. aussi elle doit avoir des gens à qui parler et que j’en peux plus d’aplanir tout ce que je ressens pour ne vexer personne ou avoir l’air d’une fille mature.
Mardi 3 décembre
Je me suis mise en devoir de confectionner un « calendrier de Avant l’hiver ». Vingt-et-un jours et autant de sortilèges avant de m’éclipser totalement. Cette année, on part en vacances le jour du solstice. Enfin ! ai-je envie de crier, et je n’entends pas par là « enfin les vacances » mais enfin une concordance, enfin une date qui a du sens.
Je le fais autant pour anticiper un moment charnière que pour rester debout, car je me suis relevée depuis la semaine dernière, et que je refuse de retomber. Pas comme ça, pas pour ça.
On part en vacances le jour où la nuit sera la plus longue. Ensuite elle refluera, et pendant ce temps-là les arbres, les plantes, les animaux, tout se retirera pour reconstituer ses forces, et moi aussi. Alors d’ici là, je sème.