Avoir sept ans et se déguiser en adulte
J’ai l’impression qu’il faudrait que je sois quelqu’un d’autre.
Pas en soi, pas parce que je ne m’aime pas, mais pour… avancer ? Faire ce qui doit l’être ?
On tournait autour de cette idée que j’avais l’air d’être entrée dans un rejet total de qui je suis. Et pas du tout, ce n’était pas mon interprétation. Je ne me rejette pas, je ne sais juste plus comment me faire coïncider avec « le reste ». Et les vertiges, et l’Angoisse dévorante, m’ont amenée à cette idée qu’il était devenu indispensable que… ça cesse. De là à dire qu’il fallait que je cesse d’être moi, non, c’est juste que je suis à court de rituels et de pensées positives. Que je suis fatiguée, submergée, que je ne suis même plus capable d’évaluer si je me regarde trop le nombril ou si je suis bel et bien au bout de quelque chose – ou seulement face à un écueil.
En tout cas, ça l’a fait tiquer : elle m’a demandé si je me rendais compte de ce que je venais de dire. Ensuite elle a elle aussi dit quelque chose que j’ai saisi au vol parce que ça m’a paru limpide : devoir faire les choses, certes, mais quant à la façon dont elles doivent être accomplies… c’est autre chose.
On avait parlé de ma propension à me repasser en boucle les interactions sociales dans lesquelles j’estime avoir failli. Je peux y repenser des années plus tard en me remémorant à quel point j’ai eu l’air tarte. On a parlé du fait que j’avais appris en observant parce que de base je ne comprenais pas comment les autres se faisaient des amis, de quoi ils parlaient, sur quel ton.
« Vous n’êtes pas comme les autres, vous le savez, ça, affirme-t-elle dans un sourire. Ça vous fait quoi, quand je vous dis ça ?
– Je me dis que par devers vous, vous pensez « oui enfin, on est tous différents les uns des autres hein » répliqué-je en me marrant.
Elle sourit encore.
– Je voulais dire, vous concernant, les autres. »
Elle a conclu qu’elle me laissait avec un… nœud à défaire ? S’accepter. Et je lui ai répondu que c’était marrant, parce qu’accepter était mon verbe-guide pour cette année. « C’est pas anodin, ça », note-t-elle encore, et ça aussi ça me fait rire, parce que chaque fois qu’elle fait ça, opiner et réfléchir comme si je venais de dire quelque chose de très profond, j’ai l’impression d’avoir satisfait la maîtresse, d’avoir dit un truc intelligent, et ça me rassure et peut-être même me fait me sentir un peu fière comme si j’avais sept ans.
Elle a dit d’autres choses, elle a dit une autre chose dont je n’ai parlé qu’à ma sœur et à Ambre (et à Ubik, mais lui s’en fout particulièrement, je crois, pas dans un sens méprisant, c’est juste que ça ne change sincèrement rien pour lui et qu’il ne voit pas pourquoi ça changerait quelque chose pour moi.)
J’ai une pensée pour Eli, là tout de suite, et pour les souvenirs qu’elle souhaite garder pour elle. Il y a de toute évidence très peu de choses que je tienne à garder pour moi, et je m’interroge sur cette urgence à dire, cette nécessité de partager, qui me semble-t-il a tout à voir avec la satisfaction ressentie devant l’approbation de la maîtresse (et les interactions foirées).
Je voudrais dire l’attendu : l’arc-en-ciel entre les rideaux de pluie, le goût des carrés angevins, les blagues pourries des 5D. Poétiser la fatigue, intellectualiser les difficultés et surtout ce faisant, mettre en valeur mes compétences sous couvert d’introspection. Je vis très mal de ne pas plaire aux gens que j’admire.
C’est fou, à quarante balais, ce besoin d’être entendue, d’être sécurisée par quelqu’un qui me dirait « moi aussi » ou au moins « c’est pour ça et c’est normal. » C’est d’autant plus fou quand t’as déjà ces gens-là à la maison. Mais je ne les crois pas, moi, les gens à la maison. Ils sont bêtes : ils m’aiment bien. Et ils ne comprennent pas – ils entendent, mais ils ne comprennent pas – que la seule personne qui ait jamais eu raison, c’est mon père. Et mon père a dit que j’étais hystérique. Il l’a aussi dit à ma sœur et je sais que c’est une ineptie totale, mais c’est pas pareil. Et puis il n’y a pas eu que lui, en vrai.
« Vous vous souvenez du livre ? Et des chapitres clos ? » Je m’en souviens, ça me fait sourire à la fois parce que l’image m’a plu et parce qu’elle est fausse : puisque le livre n’est pas terminé. Dans une histoire, tout ce qu’on met en place doit avoir une importance plus tard, sans quoi c’est juste un vieux fusil rouillé dont on se demande pourquoi on en a fait tout un plat à un moment. Et si dans la vie il faut savoir tourner des pages, c’est un peu plus compliqué que ça. Parce que la vie n’est pas terminée non plus et que le passé continue de se déverser dans le présent. Et c’est d’ailleurs l’exacte raison pour laquelle elle a dit la chose : elle n’avait presque que le passé pour le déduire.
Je suis très versée dans l’auto-dérision, alors j’espère que ça s’entend, dans l’avant-dernier paragraphe, celui sur l’hystérie, je veux dire. Je suis juste un poil ennuyée que ça masque de toute évidence une écharde tout à fait réelle – je passe à l’humour quand j’ai conscience tant de la réalité que du ridicule du truc dont je parle.
Quoi qu’il en soit, on dirait que la conclusion demeure la même : faut que j’arrête de faire semblant. Et ça recouvre tellement de strates et de dimensions que je ne sais pas par où commencer. Faire semblant d’aller bien. Faire semblant d’aller mal quand en fait ça va (physiquement) mais que ça va pas du tout dans ma tête et que ça me paraît tout de même plus simple et/parce que/ ô combien plus admissible d’être malade que d’être folle. Faire semblant de savoir de quoi on est en train de parler alors que j’ai pas entendu / pas écouté / pas compris. Faire semblant d’apprécier des gens que je méprise (parce que je suis polie). Faire semblant de croire à mes propres mensonges quand je sais pertinemment que je fais n’importe quoi.
8 commentaires
C’est chouette toutes les réflexions que ça suscite, grâce à ce dialogue. J’ai l’impression que tu vois plus de choses, que ça tourne moins en boucle. Si c’est le cas c’est que ça fonctionne.
Pour ma part je crois pas qu’il existe un âge où on n’ait pas besoin de validation. Je pense juste que le degré à lequel on en a besoin varie, et pas uniquement de façon linéaire selon l’âge qu’on a. Parce qu’on se construit aussi dans le regard de l’autre. On n’existe pas indépendamment les uns des autres, on s’influence et on se transforme continuellement. C’est pour ça que papa ne détient pas la vérité.
Et moi aussi, j’ai cru longtemps que les gens autour de moi ne comprenaient pas parce qu’ils « m’aimaient bien ». D’une, ils t’aiment tout court, de deux, je ne crois pas qu’aimer les gens nous les font voir d’une façon fondamentalement fausse. Dans la même veine que ce que je viens de dire, toi non plus tu ne détiens pas la vérité sur toi-même. Encore un truc à accepter, quand j’y pense : la façon dont les autres te voient :)
En tout cas, en ce qui me concerne je ne vois rien de ridicule, de risible ou de pitoyable. Pour moi ce sont des questions saines, des qui demandent du courage à poser et à démêler.
« J’ai tapé du pied mais la terre ne répond pas / si je passe exprès au milieu c’est pour qu’on me voit ». C’est Bagarre qui pope au moment de te répondre et ça me fait rire parce que ça résume bien mon impression parfois de me regarder le nombril et en même temps l’enjeu bien réel dont on parle : être vue, être comprise, être reconnue. Et je trouve que tu cernes admirablement le truc : en fait, on est vu, compris et reconnu par plein de gens, c’est juste qu’on n’est pas prêt à l’accepter :)
En tout cas oui, j’ai cessé de tourner en boucle (pour un temps, ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué, tout ça) et je regarde enfin vers l’avenir après avoir passé deux mois en apnée. J’ai dressé des listes et j’ai fait tout ce qu’il y avait écrit dessus, un miracle ;)
« Et c’est d’ailleurs l’exacte raison pour laquelle elle a dit la chose : elle n’avait presque que le passé pour le déduire. » C’est justement sur le passé que « la chose » peut être dite, et uniquement je dirais (en gros). En réalité ils devraient aussi se baser sur le présent, et c’est le cas, mais le passé fait toute la différence parce qu’adulte, la personne masque terriblement. Et ça rejoint ton dernier paragraphe, tous ces masques qui pourrissent la vie, que tu as appris à poser (que j’ai appris aussi, mais ça se délite depuis quelques mois) ; faire semblant n’est possible qu’un temps, ça s’effondre toujours. Tu ne sais pas par où commencer ? Fais-toi confiance, ça va se faire parce que c’est là où tu en es arrivée, actuellement :)
Et ton père avait tort. L’hystérie est une invention pour couper la parole aux femmes <3
C’est un truc qui me terrifie pas mal, la déréliction des masques. Ça vaudrait une dissertation : à la fois on les porte pour se conformer, à la fois ils sont aussi un moyen de prendre du recul, non ? J’ai déjà une propension très élevée à me regarder le nombril – oui c’est un peu mon obsession en ce moment – et je ne sais pas du tout où fixer la limite entre les efforts qu’il me semble qu’on doit tous consentir et ceux qui sont inacceptables.
Mais effectivement, je n’avais jamais parlé à quiconque, hormis Maloriel, de certaines choses du passé, et je pense savoir pourquoi : parce que je les ai tellement bien surmontées qu’elles ont fini par me paraître accessoires. Alors que plus j’en parle, plus je me rends compte que « attends, quoi ?? Mais c’est bizarre, quand même » :D Et j’en reviens aux masques, parce que finalement, je ne suis pas capable de calculer à l’heure actuelle ce que ça m’a coûté, ni à l’inverse ce que j’y ai gagné. C’est pour ça que je suis perdue.
Et je sais bien, pour mon père, je crois même le lui avoir dit (ou alors c’était dans un fantasme particulièrement puissant :D) Mais tu sais mieux que moi les traces que ça laisse, la parole de l’adulte… surtout (désolée, je réfléchis en même temps) quand cette jolie invention a été intériorisée par des femmes aussi, et qu’elles aussi te l’ont balancée (Madame MdI – c’était ma prof de sport -, je te hais.)
Le besoin brûlant de s’afficher ouvertement qui se mêle à la terreur d’être vue… Tant d’échos dans ton texte que je n’arrive pas à formuler sur mon clavier et qui me donneraient bien plus envie d’en discuter de vive voix un soir autour d’un verre de vin ou partageant une pause vapoteuse sur un balcon ;)
;) <3
Ce n’est pas parce que les gens t’aiment bien, ou t’aiment tout court, qu’ils ne sont pas capables de te voir réellement et de t’aimer malgré cela. (L’important dans cette phrase étant le malgré, que je ne peux pas mettre en exergue avec du gras ou de l’italique).
Pas facile en effet, d’arrêter de faire semblant car au final, la vie est une succession de « faire semblant », il suffit juste d’en régler le curseur à ton niveau pour ne pas te sentir trahie par ces « faire semblant » qui nous inondent.
« malgré cela », tu sais remonter le moral toi :D
Je plaisante, je comprends ce que tu veux dire et suis d’accord. Après tout on a forcément dans notre entourage des gens avec qui on n’est pas d’accord, voire qu’on ne comprend pas toujours, et ça n’empêche absolument pas de les aimer.
C’est difficile de trouver où placer le curseur justement, car je ne suis pas capable de dire quels masques sont normaux ou pas…