[Constitutif] Saez
Ce billet est dédié à Zofia.
Je ne sais pas si je réécris mes souvenirs et ne le saurai évidemment jamais, mais je me rappelle néanmoins avoir regardé les Victoires de la Musique avec mes parents en 2001, et du silence qui régnait dans la salle à manger lors de la prestation de Saez. Sans doutes mes géniteurs avaient-ils conscience de la ferveur quasi-religieuse de leur progéniture rivée à l’écran. Peut-être même leur ai-je demandé, avec gentillesse mais fermement, de se taire deux minutes. Mais je sais aussi que mon père aimait Saez. Était-ce avant, ou après, ce concert où il nous avait emmenées ? Je me souviens d’un passage a cappella qui avait scotché mon paternel, aussi il est tout à fait possible qu’il se soit interrompu de lui-même pour mater cette prestation, aux Victoires de la Musique.
« Mon dieu qu’il était jeune » est la première pensée qui me soit venue à l’esprit ce soir. Avec le recul, c’est cette jeunesse qui m’émeut le plus, pas seulement parce qu’elle me ramène à la mienne, mais parce que j’éprouve une admiration immense pour ceux qui ont su, si tôt, trouver leur voie, leur voix et ont su, sans compromis ni subtilité, la faire entendre.
J’étais amoureuse de Saez à l’époque, presque autant de ses yeux que de ses feulements rauques. Et la réaction du public, à 4min37, m’était autant source de haine que de fierté méprisante (que, je le confesse, je ressens toujours aujourd’hui. Ce live me râpe toujours la gorge de larmes contenues.)
On a assez glosé sur les plagiats éhontés de Radiohead et de Noir Désir. Je n’ai pas mis longtemps à m’en apercevoir, pas plus que de sa propension à s’auto-parodier pour des occasions spéciales, comme l’arrivée du FN au deuxième tour des élections. Je m’en foutais complètement. Jours étranges m’était rentré dans les tripes, il avait accompagné toute mon année de première, j’avais choisi de m’appeler Amandine dans le film que nous tournions avec les copines, et tout l’album, de la pochette aux textes à la musique, avait renversé les perspectives pour la gosse à fleur de peau que j’étais. Noir Dés’, que je connaissais mal, était bien trop surréaliste pour moi. Radiohead, je m’étais pas remise de Ok computer, mais c’était de l’anglais et je ne comprenais pas les textes. Saez, c’étaient des textes d’ado, c’étaient les mêmes « broutilles » qui parsemaient mon carnet noir, celui qui contenait des poèmes bien moins élaborés que ceux d’Anne-Lise. Je le dis sans amertume : Saez période Jours étranges, c’est ce que j’aurais voulu chanter si j’en avais eu le talent, à cette époque.
Je n’aime plus Saez. Je n’aime pas ce qu’il est devenu. Je n’aime pas ses tics vocaux, ses textes caricaturaux, sa prononciation maniérée. Je comprends ce que les titres que j’ai aimés ont de convenu. Mais ils n’étaient ni banals ni ridicules pour l’ado que j’étais – elle avait soif de cynisme rancunier, de poésie et d’obscurité.
God Bless, déjà je m’éloigne. J’en reparcours les textes, les mélodies, mais je les ai perdus. Si j’entends encore ce qui m’y a plu, je me souviens avoir été déçue par certains morceaux, et m’être dit que n’était pas les Smashing Pumpkins (pour le double album) ou Ferrat (pour l’engagement) qui voulait.
Bon, par contre, j’avais dix-sept ans, j’étais furieuse et pas très subtile, donc ça, ça fonctionnait très bien :
Ouvrir les yeux sur l’univers entier
Ouvrir les yeux et les fermer enfin
Ouvrir les yeux et puis quitter ce monde
Pour un meilleur demain
Le vœu pieux de ceux qui ont trop peur de mourir pour affronter leur colère.
Et ça, bordel, ça, c’est toujours aussi beau :
Après God Bless, j’en avais fini avec Saez. Maloriel, pas tout à fait, et elle m’a fait écouter Debbie. Avec le recul, je m’aperçois que j’ai beaucoup aimé cet album, même si l’affiliation avec Noir Désir devient difficile à ignorer, surtout aujourd’hui que ce groupe m’est devenu un repère et un fondamental.
J’aime En travers les néons, Marie ou Marilyn (oui, c’est pour le moins cavalier, mais j’aime le sexe crade et dominant et j’ose croire que Saez n’agenouille que des femmes consentantes – ou qu’il chante ça par cynisme, dépend de l’humeur), et j’aime par-dessus tout J’hallucine, dont les rythmiques hypnotisantes ont ramené Ubik vers ses lectures de Castaneda, et moi vers mes nuits égarées dans sa mansarde.
Et Autour de moi les fous, dont certaines phrases me hérissent, Dans le bleu de l’absinthe, Comme une ombre (« tu peux faire tes priaaares, j’ai fini de jouèèè ») : il me reste de cet album à la fois tout et rien. Je ne m’en souvenais plus avant de l’écouter pour écrire ce billet ; j’y retrouve une familiarité, un réconfort presque, sans doute parce qu’il brasse des sons de guitare et des rythmes propres à mon adolescence. Je ne l’écouterai plus, c’étaient des adieux mélancoliques.
Parce que je n’aime plus Saez, ses tics vocaux, ses textes caricaturaux, sa prononciation maniérée. Mais Jours étranges… Jours étranges c’est différent. Il aura fait partie de ces rares albums qui, aussi exagéré que cela paraisse, vous sauvent.
8 commentaires
Je réalise en te lisant que je ne connais absolument pas Saez, sauf pour deux chansons. D’abord Jeune et con évidemment, qui passait à la radio en boucle à l’époque. L’autre, aucune idée de comment je suis tombée dessus, mais c’est Putains vous m’aurez plus qui a sa place de choix dans mes fondations. Je vais devoir me pencher davantage sur les autres morceaux que tu listes :)
Je ne connais pas Putains vous m’aurez plus, je vais y jeter une oreille !
Merci pour l’article et pour la dédicace 🧡
Tu arrives à mettre en mots ce que je ressens également pour Saez… (y compris le sexe crade) c’est assez stupéfiant d’ailleurs. J’ai continué à l’écouter après Debbie, notamment le triple album qui te pousse au suicide, Miami et J’accuse qui trouvent en moi un certain écho à la rage que j’ai parfois face à la société (même si ce n’est pas toujours écrit de manière très subtile), Messina également. J’aime beaucoup moins Saez depuis quelques années, je trouve qu’il délire et va trop loin dans ces positions qui sont de plus en plus extrêmes pour moi. Je l’écoute encore et j’apprécie sa poésie que je ne retrouve pas vraiment ailleurs, qui évoque une certaine douleur et une certaine beauté des mots. Je pense notamment aux chansons en hommage aux victimes des attentats de 2015 mais aussi à Châtillon-Sur-Seine ou Rois demain qui me donnent des frissons à chaque fois. Je crois que je préfère Debbie à Jours étranges, et mon kiff absolu sur cet album, c’est Clandestins…
Saez a la faculté à me mettre dans un état pas hyper positif, une certaine torpeur, et pourtant, parfois, j’aime ressentir ce besoin de l’écouter. Il fait partie des chanteurs/chanteuses avec qui je me suis construite et je crois que je continuerai à l’écouter.
p.s : j’avais écrit ce commentaire il y a déjà un bon moment mais j’avais eu des problèmes au moment de la publication du commentaire et j’ai oublié de venir vérifier si ça avait bien marché et visiblement non ^^
J’étais assez surprise de découvrir que mon amie/amour d’adolescence écoutait encore Saez, elle m’avait parlé de Messina d’ailleurs, je crois. Il faudrait que j’écoute les albums post-Debbie, mais je ne sais pas si j’arriverais à passer outre mon aversion actuelle pour ses gémissements. Sur Debbie déjà sa façon de prononcer certaines syllabes me fait tiquer :D
Mais ton commentaire me donne envie, d’autant que je te rejoins totalement quand tu parles de l’état « pas hyper positif » dans lequel il te met, et que tu recherches pourtant.
et bien décidément je n’ai pas de chance, j’ai laissé au moins 3 commentaires sur cet article et visiblement aucun n’est apparu… 🤨
C’est TROP BIZARRE ! Ils sont tous passés en indésirables oO
Je rétablis ça fissa !
Un seul suffira car je viens de tenter d’en mettre 3 nouveaux 🤣
J’ai vu :D
J’ai mis le premier, du coup ;)