Dragon Age
Une histoire d’amour.
Cela fait plusieurs années que je souhaite écrire à propos de Dragon Age, sans parvenir à saisir l’essence de mon propos. Je pourrais rédiger une chronique dithyrambique dans le seul but de faire de la pub à une série que j’aime de tout mon cœur. Mais ce serait passer à côté.
« Dragon Age a été mon roc. Mon univers pour m’évader (…) » Ma sœur aurait pu écrire cette phrase, même s’il s’agit en l’occurrence du préambule à une fanfic que j’aime beaucoup. Quant à moi, je n’y ai jamais pensé. Les fictions que j’aime constituent de véritables fondations et je n’en ai pris conscience que récemment. J’ai tellement vécu en elles que je ne m’étais pas rendu compte combien elles m’avaient été, à moi aussi, des rocs et des refuges. Il y a juste eu un moment où, quand je perdais courage, je me demandais : « comment Anita Blake affronterait-elle cette situation ? » Parce que Anita se décrivait toujours à elle-même ses émotions, sans fard ni honte, et que cela me boostait. Sans me ressembler le moins du monde, elle m’incitait à m’accepter et à rebondir. Il m’est aussi arrivé de comparer ma vie à celle de Buffy… Ça me faisait relativiser :)
Pourtant, je sais maintenant que je ne serais pas moi-même sans Steve et Ghost, ni même sans les vampires d’Anne Rice que j’ai depuis délaissés. Je serais peut-être plus fataliste si je n’avais pas vu et revu Le cercle des poètes disparus. Je ne serais sans doute pas aussi mystique et sûre de moi s’il n’y avait pas eu L’histoire de Lisey, pas aussi romantique sans Spike, pas aussi bi sans Willow ou Dana Scully.
Toute gamine, je pratiquais déjà la fanfiction, sans le savoir. Je me racontais des histoires dont j’incarnais tour à tour les protagonistes. J’ai commencé avec Les chevaliers du Zodiac, j’ai continué avec Les enfants de John, une série mi-docu mi-fiction qui passait sur la 5 et dont je désespère de retrouver un jour les épisodes sur le site de l’INA (ou ailleurs). Les histoires ne m’ont pas aidée à traverser des passages en particulier. Elles sont pour la plupart plus réelles que ce que les gens imaginent être moi. Pas parce que je-suis-incroyablement-mystérieuse-et-que-vous-pouvez-pas comprendre… Mais parce que j’y ai passé (je pense) presque plus de temps que dans la « vraie » vie. J’ai vécu plus longtemps avec mes amis imaginaires qu’avec mes amis « réels » !
J’ai conscience que certains pourraient trouver cela pathétique. Je dois confesser que je m’en fous complètement. Je pense, pour parler en philosophe de comptoir, que tout est fiction. Si on enlève les histoires, il ne reste que les faits, qui se résument peu ou prou à : y’a de la vie sur Terre. L’Histoire comme les histoires sont des récits qui donnent du sens a posteriori. Vivre « dans la réalité », c’est déjà se raconter une histoire à soi-même.
Je suis une littéraire. C’est la première forme d’art à laquelle j’aie été sensible, celle dans laquelle je me suis épanouie et qui m’apporte le plus en termes de réflexion et de spiritualité. C’est pourquoi, je pense, j’aime tant les RPG. Le cinéma est une œuvre d’art totale. Le RPG est une œuvre d’art totale dans laquelle je peux m’incarner.
La seconde forme d’art à me transcender fut la musique. Laissez-moi vous dire qu’un RPG qui m’accompagne de la bonne B.O m’émeut au sens primitif du terme : m’emmène littéralement hors de moi. M’habite et me transforme.
Ça…
Ça fait référence à quelque chose que j’ai vécu. C’est la bande-son de ma vie, quand bien même elle s’est déroulée dans un univers virtuel, où j’incarnais un mage elfe de sexe masculin.
Cette cinématique (qui commence à 4min02 et s’achève à 5min44 – désolée, c’est tout ce que j’ai trouvé) demeure une de mes préférées de DA Inquisition, même si les anim’ faciales sont toutes pourries. J’adore le côté inéluctable de la narration comme de la musique. Et quand ça fait soixante-dix heures que vous jouez, ces gens, vous les connaissez, ces guerriers, vous les avez vus combattre à vos côtés. Nan d’ailleurs, c’est pour ça que c’est celle-ci, ma préférée :
Ces gens qui meurent sur les échelles, en maniant le bélier… C’étaient les miens.
*
Le brouillon de ce billet date du 30 mai 2018. J’avais renoncé à le publier, et puis, il y a quelques jours, je me suis rendue chez mon père, qui m’a dit : « je ne comprends pas pourquoi tu joues aux jeux vidéos. Ça ne m’intéresse pas. Pour moi, ça a tout l’air d’une addiction. »
Je vous fais grâce (quelle générosité !) du débat houleux qui s’en est suivi. J’ai évidemment été blessée. Plus que ça, j’étais furieuse. D’abord parce que je ne trouve pas très agréable de m’entendre dire par mon propre père qu’il ne me comprend pas. Mais surtout, parce qu’à l’instar du Capitaine, je ne conçois pas qu’on puisse dire « ça ne m’intéresse pas » d’un sujet aussi vaste1. J’ai fini par lui faire comprendre que c’était à peu près aussi con, de mon point de vue, que de dire « je n’aime pas les livres », alors que si mon père goûte peu la plupart des classiques et n’aime pas spécialement la fantasy, il adore Bordage. Je lui ai aussi fait remarquer que mon appétit de lecture l’avait vachement moins dérangé, or entre un DAI, un Skyrim ou un Mass Effect, je vois mal de quoi j’aurais à rougir. Bon, il m’a rétorqué qu’il m’aurait aimée plus… quoi ? Sociable ? Je ne crois même pas – mon père, jusqu’à récemment, était plutôt misanthrope, toujours de mon point de vue.
Bref. Je pense que mon père, comme beaucoup de gens, sous-estiment le besoin de s’évader. Cela me surprend de sa part. S’il en avait eu l’occasion, se serait-il montré moins irritable, moins lessivé ? Je ne sais pas. En revanche, je persiste à croire que la capacité à imaginer conditionne celle à se mettre à la place de. Pour le reste, tout se mélange, dans ma tête. Aurais-je été « assez forte » pour survivre sans les jeux vidéos et les livres ? Aurait-il été plus à même de comprendre ce qu’il me faisait subir si lui les avait eus ? Je n’en ai pas la moindre idée. Toujours est-il que Dragon Age m’a fait rêver, réfléchir et pleurer (sur ce dernier point, je ne parle même pas de Mass Effect et de ce qu’il m’a appris de la mort !) Dragon Age m’a fait grandir. Et ce faisant, oui, Dragon Age m’a sauvée. Comme toutes les fictions que j’ai aimées. Toutes celles qui m’ont appris que je n’étais pas seule.
Franchement, je vois mal comment me le reprocher. C’est une addiction ? Soit. Si je dois être addict à un monde virtuel qui m’a appris comment interagir avec le réel et m’a également permis d’y survivre, je vois vraiment pas où est le mal.