Éclosion
J’ai ce billet en préparation à propos de notre voyage à Lanzarote, mais il y a (encore !) des choses sur lesquelles je dois revenir avant.
Ça fait à peu près sept mois que les vertiges ont commencé, et passées la panique et l’incompréhension, des chemins se dessinent à rebours. Des interprétations, donc. Mais c’est le seul moyen que je connaisse de donner du sens : une histoire, c’est un labyrinthe. Il faut l’avoir traversée pour en dessiner les plans, sauf à l’inventer – privilège des conteurs qui ne parlent pas d’eux… ou se construisent au fur et à mesure de leurs récits.
Dans The Haunting of Hill House, Olivia présente fièrement à Hugh les plans enfin nets et complets du manoir, après un long travail d’enquête et de comparaisons. Il s’avère qu’elle y a plaqué ad nauseam les plans de sa maison idéale. Est-ce à dire qu’on ne peut s’échapper de soi-même ? Ou qu’on se leurre en croyant avoir tout compris ?
Pourtant, une fois les cases réagencées, je ne crois plus que je souffre d’une phobie sociale née d’un malaise impromptu. Je crois que la seule chose due au hasard, c’est le moment.
Je reviens d’un séjour chez mon père, donc. J’ai l’impression d’avoir tout à fait cessé d’exister pendant deux jours et demi, à l’exception des moments où j’ai parlé avec ma sœur, de celui où Ubik m’a envoyé un texto pervers et de celui où j’ai éclaté. Je dis deux jours et demi, ça compte aujourd’hui, lundi : après que mon corps m’a complètement lâchée hier soir, j’ai passé la journée chez moi, dans mon canapé. C’est passé à toute vitesse et je n’arrive pas du tout à me projeter dans une journée de boulot, demain. L’ampleur et la violence de la vague qui m’a submergée au retour de chez mon père m’a complètement sonnée.
Je crois que s’il y a eu secousse post-traumatique, cela venait de beaucoup, beaucoup plus loin. Ça m’est revenu comme un boomerang des années après, peut-être parce que je m’étais accomplie et que c’était le moment de m’écrouler, ou peut-être parce qu’était venu s’ajouter le deuil de trop. Je ne connais pas le pourquoi de la date, mais je mesure, à présent que je peux comparer, l’état de tension et d’anxiété permanentes dans lequel j’ai vécu. Et mon papa, que j’ai aimé de tout mon cœur, que j’adore toujours, a participé à me maintenir la tête sous l’eau. Inconsciemment, c’est sûr, mais beaucoup moins innocemment que j’ai voulu le croire.
Mon père est, d’une certaine manière, une personne toxique. Putain ce que ça fait mal de le réaliser.
Nathalie, presque quarante piges, va devoir faire le deuil du papa idéal.
C’est sûrement comique mais je suis trop bouleversée par cette énième explosion, et trop lasse pour avoir envie d’en sourire.
Le gaslighting ou gas-lighting, connu sous le nom de détournement cognitif au Québec, est une forme d’abus mental dans lequel l’information est déformée ou présentée sous un autre jour, omise sélectivement pour favoriser l’abuseur, ou faussée dans le but de faire douter la victime de sa mémoire, de sa perception et de sa santé mentale.
Source : Wikipédia
Je n’aime pas les étiquettes. Je me méfie de ce qu’elles peuvent avoir de réducteur : elles offrent une grille de lecture du monde, sans nuances, et qui permette à chacun de justifier de ses travers sans avoir à se regarder dans un miroir. Mais… putain, c’est exactement ça que mon père fait. Sans le faire exprès, je pense. C’est comme ça qu’il a bâti ses propres défenses. Mais c’est tout de même exactement ça que je l’ai vu faire avec ma mère, ma sœur et… moi.
C’est ce qui m’a fait tant douter, c’est ce pourquoi je n’ai jamais accordé le moindre crédit à mes émotions, ce pourquoi je les ai trouvé déplacées, limite indécentes. Parce qu’il a dit que ce n’était pas lui qui s’énervait, mais moi. Parce qu’il m’a dit que j’étais hystérique. Parce que ça nous est arrivé à toutes les trois d’évoquer un souvenir, aussi trivial soit-il, et de nous entendre affirmer avec une fermeté qui se muait en mépris quand nous insistions que ça ne s’était jamais passé comme ça.
Ma psy m’avait dit, peu ou prou : « dites-vous bien qu’il ne parle jamais que de lui. » C’est lui que trahissent ces mots – ils ne me traduisent certainement pas.
Alors je vais finir là, ce soir. Et envoyer tout mon amour à ma sœur qui elle, a recueilli tout ce que j’étais et l’a, patiemment, fait éclore.
6 commentaires
Tout autant qu’on s’arrache la gueule sur des ronces en se paumant dans des chemins qu’on n’a pas envie d’explorer, ce sont ces révélations les plus douloureuses qui nous font avancer le plus loin. Prends bien soin de toi surtout, et plein de courage <3
Bon courage à toi, je n’arrive pas à imaginer la douleur qu’a fait naître cette compréhension… j’espère que cela pourra t’apaiser et t’aider à aller mieux…
Pas sûre : je me dis toujours qu’il doit y avoir moyen de s’expliquer, mais je lui ai envoyé un mail et, même s’il l’a bien reçu, je n’ai pas l’impression qu’il l’ait compris, il passe toujours à côté de l’essentiel. Il faut que je fasse mon chemin de mon côté, pour apprendre le détachement sur cette question-là, et ça me rend triste, de penser que c’est ce qu’il faut faire.
Pour ton papa, effectivement, si pour lui, il n’y a pas de problème, il ne peut pas se remettre en question. Je comprends ce que tu traverses, car sur une problématique bien différente, je suis confrontée à ce genre de questionnements. Apprendre le détachement pour une chose que tu ne peux pas changer chez un proche. Je croyais avoir dépassé ça mais bon finalement, c’est pas le cas…
C’est ça, pour lui il n’y a pas de problème. Maintenant, j’ai la chance d’avoir ma sœur, nous sommes d’accord et nous nous soutenons, et ça, ça me fait beaucoup de bien car ça contribue à m’étayer, à me dire que non, définitivement non, ce n’est pas moi le problème.
Bon courage à toi aussi, c’est si difficile, d’apprendre ce détachement, on ne cesse de revenir en arrière et de se remettre en question… Mais je me dis que si nous, on a fait ce chemin, ce n’est juste pas possible que ce soit nous qui soyons en tort… Peut-être qu’il n’y a juste pas de tort, mais quand même, nous, on s’est demandée si…
Très important que tu puisses compter sur le soutien de ta sœur sur ce point-là, à deux vous êtes plus fortes et comme tu dis, on évite du coup les questions du style « c’est moi ou y a un problème ? »