Écriture à la petite semaine #3
Journal d’abstinence.
Lundi 17 avril 2023
Ce que je cherche et ce que je fuis, c’est la même chose : c’est le présent.
Il me semble devenu impossible de me soustraire à la pensée du temps. C’est ce dont je me rends compte quand je ralentis, que je tente de m’ancrer dans mon corps, dans le présent : l’anticipation rôde sous la surface, ça remue Angoisse, qui s’agite, remonte, m’enveloppe comme un suaire fantôme.
Alors je bois, pour oublier que je ne parviens pas à vivre dans le présent, et ensuite je pleure, parce qu’il n’y a plus de présent ; les jours défilent trop vite, je n’en saisis pas l’essence, ça me fait peur, je me reconnecte, et je réalise que je n’en saisis toujours pas l’essence parce que Angoisse, alors je bois, et…
Il est là, le nœud de mon alcoolisme, dans cette Angoisse existentielle que je me faisais une fierté d’avoir vaincue, et que j’ai simplement anesthésiée.
Alors à chaque fois il faut tout réapprendre. D’abord, prendre conscience qu’à 18h, quand Mathias rentre à la maison, je suis irritable et irritée. Je sais qu’on ne va pas boire, je l’ai voulu puisque je me suis refusée à sortir acheter quelque chose, mais rien à faire, quand le moment arrive de s’y confronter, je suis contrariée. Accepter cette irritation.
Ensuite, c’est à chaque tentative la même question : quel rituel pour remplacer celui-là ? Autour de quoi se retrouver, tous les deux, si ce n’est dans l’euphorie légère d’un verre de mousseux ? Des jours comme aujourd’hui on ne se retrouve tout simplement pas, ou plus tard, au dîner, que nous prenons, à de rares exceptions près, toujours ensemble.
Mais c’est aussi dans ce moment que l’on ne parvient pas à ritualiser tous les deux que je commence à m’ancrer. C’est là que je réfléchis, à pourquoi je fais ça, m’abstenir, aux sentiments et aux pensées que cela procure. Je m’assieds en tailleur sur la terrasse et je médite, les yeux fermés, environnée de chants d’oiseaux, enveloppée de soleil. Le sens m’apparaît dans la sérénité qui s’installe.
Pourtant, une ou deux heures après, me revoilà devant mon clavier, à tenter de comprendre pourquoi la question qui me préoccupe le plus est : qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de ma soirée ? Alors que la réponse, somme toute, est plutôt évidente : la même chose que d’habitude.
C’est peut-être parce que mes activités habituelles m’apparaissent vaines. J’ai hâte d’être à demain, demain j’irai me promener le matin avec Muriel, et l’après-midi je rangerai cette table basse qui m’énerve, et je cuisinerai le poisson que Mathias a acheté au marché. C’est un programme que j’ai hâte d’accomplir, alors que la litanie de ce que je pourrais faire ce soir ne m’enthousiasme pas. Ne pas boire, c’est me reconnecter à ce sentiment de vacuité, mais aussi simplement à moi-même, à celle qui n’écrit plus et ne sait rien faire de ses mains.
20h28
J’ai emmené Mathias en balade. Nous avons fait le tour qui nous est devenu un commencement d’habitude, quand, le samedi ou le dimanche, monsieur se fait soudain la réflexion qu’il lui faudrait faire un peu de sport.
C’était bien. On a retrouvé nos mots, les banalités qu’on se dit à l’apéro, banalités qui nous intéressent parce qu’elles parlent de nous, des choses qu’on a apprises dans la journée, de nos énervements, de nos doutes, de nos accomplissements. Je crois qu’on devrait recommencer, tant que la météo le permet – elle est si clémente depuis samedi, je me sens renaître.
Depuis que l’alcool m’est devenu un compagnon familier, je me surprends souvent à me fasciner pour le quotidien des gens : que font-ils ? Comment occupent-ils leur temps ? C’est quand même fou, comme interrogation, alors même que je suis persuadée que le temps ne devrait pas s’occuper, il devrait se vivre en pleine conscience. Mais si j’approfondis un peu ma réflexion, je vois bien que moi je ne l’occupe ni ne le vis, je l’oblitère.
Mardi 18 avril 2023
Cette fois, c’est le jour, qui me fait peur. En cause, le stress induit par l’ouverture de la plateforme de saisie des vœux. J’ai jusqu’à la fin des vacances, pas la peine de rusher, en plus il faut que je contacte le syndicat pour qu’il me conseille sur la marche à suivre. Ces trucs qui échappent à mon contrôle peuvent me plonger dans des affres de nervosité. Alors je fais des listes (depuis hier j’utilise le petit logiciel qu’Eliness a généreusement mis à disposition, j’aime bien le fait de n’afficher qu’UNE tâche à la fois.)
Par ailleurs, j’ai très bien (et très longtemps) dormi, quoique d’un sommeil très agité.
En faisant quelques recherches sur l’addiction, j’ai trouvé deux sortes de résultats : les officiels, terriblement alarmistes, qui m’exhortent à rencontrer un professionnel car on ne peut pas sortir de l’addiction tout seul. Super réconfortant. Les particuliers en revanche, sont plusieurs à recommander ces trois étapes : trouver sa motivation, trouver un substitut, et se lancer.
Je constate donc que je n’ai pas de motivation. Toutes celles qui me viennent en tête me sont dictées par l’extérieur et ne résonnent pas vraiment en moi. Je serais plus en forme ? Boarf, je ne vais pas si mal que ça. Ça ne va pas aller en s’améliorant ? Bah, rien ne s’améliore jamais vraiment, surtout pas la santé. Je serais plus libre ? Libre de quoi ? Bref. Je ne me souviens même plus pourquoi, avant-hier, je me suis dit que ce serait bien de me calmer.
Enfin, si, bien sûr : j’étais fatiguée, et je savais que j’avais poussé le bouchon un peu trop loin.
Peut-être que je devrais m’attaquer au problème d’une autre manière.
20h38
Après dîner, je suis retournée faire cette balade que nous avons faite hier. Ça m’a fait du bien et ça m’a attristée, parce que j’ai écouté le nouveau single de VNV Nation, dans ses deux versions qui étaient suivies de Before the Rain, et après je me suis lancé Devoured by the Oak de Cân Bardd. Bon, vu la teneur des textes, je devrais probablement changer pour un truc plus… lumineux.
Ma promenade m’amène à traverser le cimetière, ça m’étonne à chaque fois comme presque toutes les tombes sont fleuries.
(Nan mais d’accord, même Frozen Plasma a décidé de me flinguer le moral. Mais je me laisserai pas faire : je suis très heureuse d’être sobre, j’ai l’impression d’avoir entamé une retraite spirituelle.)
J’ai redressé un pot de fleurs fraîches que le vent avait balayé et j’ai continué à marcher dans les rues désertes, heureuse à chaque fois que je pouvais entrapercevoir des gens à travers leur fenêtre. Ça m’a toujours rassurée, de voir les gens de cette façon, je ne sais pas pourquoi.
Mercredi 19 avril 2023
8h29
J’ai de nouveau super bien dormi, et surtout, très longtemps. En réglant mon réveil en début de semaine, je pensais que ce serait une roue de secours, mais en fait apparemment je pourrais faire le tour de l’horloge.
J’ai entamé hier soir le rangement en profondeur de mes playlists et albums Spotify, ce qui m’a grandement motivée à le rouvrir dès ce matin.
En revanche mes intestins c’est le chaos, quand je pense qu’hier soir c’était lieu jaune à l’indienne avec du riz ! Apparemment, je ne digère bien que la bière et la bouffe grasse (c’est faux, la vérité c’est que je ne digère strictement rien : ni les crudités, ni les légumes cuits, ni les légumineuses, ni les féculents, je ne sais plus quoi faire.)
J’ai passé la matinée à lire le début de Conte de fée, le dernier Stephen King, donc comme à chaque fois que j’entame un de ses livres, je n’ai plus envie de rien faire d’autre, je veux m’enraciner dans mon canapé et ne surtout jamais finir le bouquin.
Et, je note : le café, c’est la seule chose qui me fasse du bien côté bide. Je n’essaie pas de comprendre.
17h04
Bon, je suis très contente d’être en forme et tout ça, mais putain c’est vraiment pas fun, un monde où tu prends pas l’apéro (il est trop tôt, j’anticipe.)
Mais bon, j’ai fait un gâteau, ET ma liste de vœux.
Jeudi 20 avril 2023
09h24
Soirée cocooning devant les vidéos du Faucon Littéraire que j’aime beaucoup, avec application de vernis en prime. Comme j’essaie d’assainir ma vie en général et que je respecte tout un tas de principes à la fois, j’ai comme chaque jour cette semaine, décroché vers 22h, histoire de me tenir loin des écrans pendant un laps de temps raisonnable avant de me coucher.
Vivre sainement, c’est tout à fait palpitant.
16h16
Par contre, il va falloir que je trouve l’origine de ce mal de bide qui me plie en deux (enfin non. Pliée en deux c’est bien pire.) C’est une allergie alimentaire, c’est pas possible autrement !
21h02 ♪ Anoice – The Hidden forest
(sans déconner, je choisis super bien mes musiques, moi : je veux un truc calme et apaisant. Titre du deuxième morceau : a perfect day for a funeral.)
Super début de soirée devant ce magnifique reportage d’Arte sur l’île d’Iriomote, au Japon.
Je boirais ce week-end parce qu’on va fêter l’anniversaire de Mathias, mais je voudrais réitérer cette expérience la semaine prochaine, et surtout la concrétiser « définitivement » (on y croit), quand je vais reprendre le taf. (en semaine. J’insiste. Je ne crois pas avoir la force de conserver ma santé mentale sans un peu d’euphorie artificielle.)
Si je tire le bilan de ces quatre jours de sobriété, je suis mitigée. Fière d’abord, et ça semblera ridicule voire grave aux gens sobres et/ou équilibrés, mais lundi, si on m’avait demandé depuis quand je n’avais pas bu un seul verre, je n’aurais pas pu répondre. Beaucoup, beaucoup trop longtemps.
Aujourd’hui, j’ai eu l’impression que la vie n’était pas assez, tout simplement. Que je n’y trouvais pas la plénitude que je recherchais. Ma peur adolescente du quotidien, dans toute sa banalité et toute sa répétitivité, a souvent refait surface cette semaine. Le soir (et seulement le soir), j’ai éprouvé une sorte d’ennui, devant le fait que c’était la même chose que le jour, qu’il n’y avait aucune transition particulière, sauf qu’en quelque sorte j’avais épuisé pendant le jour toutes les choses que je voulais faire.
Toutefois, il y a un truc qui me… rha, je ne trouve pas le mot, m’interpelle, peut-être, un truc à creuser : je me sens immensément bien quand je ne fais rien, justement. Rester assise au soleil, les yeux fermés, méditant ou du moins, demeurant immobile à l’intérieur comme à l’extérieur, ne m’ennuie pas, ne m’impatiente pas, au contraire.
Aujourd’hui je n’ai pas vraiment réussi à méditer, d’ailleurs, ou du moins pas comme je le « devrais » (avec tous les guillemets qui s’imposent.) Je n’arrivais pas à me concentrer uniquement sur ma respiration. Mais j’étais… immobile, oui. Apaisée, à l’écoute, ancrée dans le présent comme j’y arrive rarement. Let it go, c’est un des préceptes de la méditation en pleine conscience, un de mes préférés, et en cet instant j’y étais. J’avais mal au ventre, j’étais grognon, mais… Pas crispée là-dessus, pas emportée par cette sensation ni par mes émotions. Juste, présente, consciente, et… j’ai souri.
Les bénéfices que j’ai retirés de cette semaine sont nombreux. Je place en haut de la liste la qualité de mon sommeil, jamais réveil ne m’a semblé si agréable. De là découlent un apaisement général, une énergie renouvelée, que mes marches quotidiennes et une hydratation constante ont renforcés. J’ai eu l’impression, d’une manière générale, d’être beaucoup plus connectée à moi-même et d’avoir pris un rythme naturel, lever vers 8h, coucher vers 23, comme ça, parce que la nuit est tombée et que je suis fatiguée, normalement fatiguée. Ça aussi, je veux en faire une habitude quotidienne : marcher, dans la nature si possible. Je ne trouvais pas le temps de le faire hors-vacances, mais cette semaine on s’est baladé tous les soirs après le dîner, la saison s’y prête, et après tout c’est le moment idéal. En période scolaire, ça m’aidera sûrement à respecter mon rythme de sommeil : je peux me promener puis me préparer tranquillement pour la nuit. Peut-être que ça peut contribuer à ce que je n’aie pas l’impression que dans ces moments-là il n’y a que mon métier (et son à-côté : la route) qui occupe tout mon temps.
Une autre chose qui m’est venue à l’esprit, c’est que j’ai envie d’apprendre à pratiquer une activité manuelle. Je ne sais pas laquelle et selon toute vraisemblance, je n’oserai jamais me lancer puisque, c’est un fait connu de tous mes proches, je ne sais rien faire de mes dix doigts. Quiconque a déjà vu la gueule de mes paquets cadeaux pourra le certifier. Mais ça me plairait, de faire quelque chose de contemplatif, qui ne soit pas la lecture à laquelle je consacre déjà de nombreuses heures chaque jour.
Vendredi 21 avril 2023 ♪ Anoice
Ce matin, nous sommes allés au marché, il faisait encore très beau (les nuages se sont installés, entre temps.) Voilà, c’est ce genre de choses que j’aime faire : humer les parfums, discuter avec la bouchère, dont la ferme est quasi voisine de chez nous, et avec le boucher bio qui me reconnaît alors que je ne viens presque jamais. Acheter des légumes de saison qui viennent du Finistère, et des œufs fermiers gros comme un poing d’enfant. Boire un vrai café au retour, en rangeant mes courses. Écouter un album jusqu’au bout. Des moments de « contemplation active », si je puis dire.
… Du jardinage ? Hum, non, si je tombe sur un ver de terre tout le quartier va m’entendre. De l’aquarelle ? Du bricolage ?
3 commentaires
Cet article était trop chouette à lire. Parce que j’avais l’impression d’être attablée avec une pote qui me racontait ses dernières expérimentations quotidiennes / leçons de vie dans le train-train, et c’est un sujet de discussion que j’adore. En te lisant je me sens moins seule à me poser certaines questions, à avoir certains fils de réflexion, et ça me fait du bien. Je retrouve beaucoup du rapport au rituel dans tes explorations (l’apéro, la balade, la recherche d’activités angulaires) et à l’errance du sens, et ça résonne beaucoup. Et la phrase « je suis très heureuse d’être sobre, j’ai l’impression d’avoir entamé une retraite spirituelle » m’a fait sourire, je ne sais pas pourquoi mais je l’ai relue plusieurs fois parce que je la trouvais bien :)
Je comprends aussi très fort la démangeaison de « faire quelque chose de ses mains » ! Tout comme toi hélas je suis très peu habile, et de plus je n’aime pas l’idée de produire quelque chose sans savoir quoi en faire, genre les férus de poterie et de crochet qui submergent tout leur entourage de leurs créations… Personnellement j’ai trouvé le soulagement dans le mouvement (danse, yoga, étirements…) mais si tu souhaites quelque chose de plus productif (dans le sens premier), pourquoi pas la cuisine ou la pâtisserie (mis de côté tes troubles digestifs qui, j’espère, ne sont que de passage) ?
PS: Ravie que le petit outil de gestion de liste de tâches te soit utile !
Merci, ça me fait plaisir !
J’ai beau en avoir publié trois déjà cette année, j’hésite toujours un peu avec les « Écritures à la petite semaine » car je ne sais pas si le format est vraiment intéressant.
De plus, ce sujet-ci est un peu délicat, même si j’en ai déjà parlé, aussi.
Quant au travail manuel, j’ai raté mon dernier gâteau au chocolat, chose qui n’était jamais arrivée. Frustrée, je suis :D
[…] la fatigue. En mars la gratitude et le dépaysement. En avril la libération, la réapparition et l’abstinence. En mai la certitude d’être qui je dois et l’épiphanie. En juin les montagnes russes. Et puis […]