Écriture à la petite semaine #4
Il y a des gens qui conservent de vieilles photographies, moi ce sont des pages couvertes d’encre.
Tous mes souvenirs s’y trouvent, même ceux que j’ai désormais oubliés. Mes carnets sont un trésor, un songe, une machine à remonter le temps, une porte. S’y trouvent la plupart des réponses dont j’ai besoin, le reflet de mes forces et de mes faiblesses.
The Blooböxx, 1er août 2007.
27 mai
Ah tiens, c’est bientôt l’été. Je le sais parce que je bascule peu à peu en mode « souvenirs ». Sans nostalgie : je me vois me construire et je comprends. Juste je ne sais pas pourquoi ça doit avoir lieu maintenant. Parce que c’est une période d’anniversaires en cascades ? Ou parce que c’est la fin de l’année scolaire ?
Je mets toujours mes mitaines en cette fin de mai. Mes collègues les plus optimistes arborent jupons et chaussures ouvertes, se plaignent en conséquence un peu du froid, mais il y a toujours quelqu’un que ma manie fasse sourire. La vérité c’est que j’aime avoir les poignets ceints. Ça me rassure. Comme d’arborer mon nouveau sweat, sur lequel on voit un chaton électrifié, les yeux exorbités, répéter « I’m fine, it’s fine, everything is fine. » La première fois que je l’ai porté, Caroline l’a déchiffré, puis m’a dit : « il a pourtant pas l’air très en forme, ce chat ! » Oui, voilà, Caroline, c’est exactement là où je voulais en venir :)
Mon dieu, elle enseigne le sport à des collégiens.
2 juin
Il y a deux ans jour pour jour, je postais ce billet. Je t’en parle aujourd’hui, par la magie d’Internet tu ne le sauras que dans quelques jours, mais c’est drôle de relire ça maintenant, de retrouver Moustik et le chemin au fond du lycée au fil de mes pérégrinations mémorielles, parce que… je suis titularisée dans ce bahut. Mon choix numéro 1. Je le sais depuis hier, et j’ai pas encore réalisé. Je suis ti-tu-la-ri-sée. Je ne quitterai le job que je voulais absolument que si je le souhaite. C’est fini, la route et les adieux. Ça donne d’autant plus d’importance à mes élèves actuels, parce qu’ils m’auront bien lessivée, mais des gosses bruts de décoffrage, quand c’est pour te faire des compliments c’est pas plus avare qu’en remarques méprisantes, et ceux-là m’auront donné assez de confiance et d’amour pour mon métier pour affronter les dix prochaines années.
7 juin
Maintenant je n’ose plus reprendre ce billet, encore moins envisager de le poster : le directeur de ND m’a dit que l’année dernière il y avait eu des tonnes de saisines, il n’est pas spécialement confiant quant à ma nomination effective. C’est reparti pour dix jours à me bouffer la peau des doigts. Jamais incertitude ne m’aura autant fait vaciller que cette année. C’est trop long, un mois à se demander si, à appréhender que. Si vous ne pouvez pas donner de réponse définitive avant les recours, ne dites rien, bordel !
J’essaie de ne pas me laisser envahir par le stress, je régule ma consommation d’alcool. Je ne sais pas quoi faire de ma peau. Mes cours c’est du free-style, j’arrive plus à saisir l’importance de ce que je fais. J’en peux plus d’attendre la fin et les réponses.
8 juin
Dans ma boîte mail : « Bonjour pourquoi j’ai eu 0 à mon poème alors que tout correspond à la grille d’évaluation »
L’assurance de mes élèves me laisse pantoise :P Eh bien Malo, peut-être parce que tu ne m’as pas présenté « ton » poème, mais celui d’un écrivain dont les textes sont accessibles sur le Net ?
Malo est revenu deux heures après m’avoir alpaguée dans la cour et avoir échoué à prendre l’air vraiment offusqué quand j’ai prononcé le mot « plagiat ». Il m’a dit : « je sais madame, c’est impardonnable, ce que j’ai fait, mais… est-ce que je pourrais vous rendre demain un poème que j’aurais écrit ? Un zéro ça fait vraiment chuter ma moyenne… » Oui, Malo, tu peux. Comme je le disais chez Eli, ce que je veux, c’est te lire toi (et c’est pourquoi j’ai noté sans tenir compte des errances syntaxiques ni vraiment de l’orthographe.)
Et j’en ai lus, des trucs chouettes. De Zoé, qui me regardait les yeux écarquillés (« mais Madame, on dirait que ça a été écrit par une enfant de quatre ans, c’est nul ! ») D’une autre Zoé (« Poème pour les Stray kids : si vous connaissez pas je vous explique vite fait à la fin du poème », en plus j’ai eu droit à des photos, pour bien comprendre pourquoi les Stray Kids étaient mille fois supérieurs à BTS.) De Lily et Anouk, les ptites nouvelles et leurs fringues bizarres, tu te souviens, qui oui écrivent des trucs glauques sur des mecs ténébreux pour qui elles seraient prêtes à sauter d’une falaise, qu’est-ce que tu veux que je te dise, j’écrivais exactement la même chose à leur âge. De Nohann qui avant de partir en stage m’a donné sans y croire son poème sur la chasse, de Nicolas qui a écrit un truc choupi à se rouler par terre à propos de son chat, et même d’Axel que je soupçonne d’avoir utilisé une IA, et je ne sais pas quoi faire de ça, parce que c’est la première fois de l’année qu’il me rend un devoir.
Aujourd’hui je ne savais pas quoi faire avec les 5e, j’en peux plus d’eux, ils ne me laissent jamais finir une phrase, j’ai plus envie, plus l’énergie, et je sais qu’ils le sentent et que c’est un cercle vicieux. On bosse sur le théâtre. Et là, mes collègues me disent : « fais-leur mimer ! »
Meilleure.Idée.Du.Monde.
Déjà j’ai eu la paix et surtout c’était super intéressant, c’était la meilleure façon de leur faire prendre conscience des didascalies, et donc du fait que faire du théâtre, c’est jouer avant que de parler. Ils ont adoré, et moi aussi.
*
Une chose que l’écriture ne peut pas sauvegarder : l’odeur de la pluie après quelques jours de soleil. Ça sent le goudron humide et le vert.
Plus rien ne bouge ; on a eu du vent ces derniers jours, ce genre de vent dont on ne sait pas s’il est froid ou chaud, mais aujourd’hui j’avais envie d’apporter une chaise longue au milieu de la cour.
*
17 juin
« Toutes les propositions faites aux collègues spelc par la CAE ont été validés hier en CCMA. La vôtre y compris. » BAH J’ESPERE BIEN ! Parce que déjà quand tu dis « toutes », je m’attends pas à lire « sauf la vôtre » derrière !
Je reprends. Je suis titularisée, à cinq minutes de chez moi, c’est bon, c’est acté, et tout le stress qui m’a minée ces derniers jours est retombé.
Et hier c’était le dernier jour de nos quatrièmes. J’ai fait un goûter, puis un deuxième, je suis allée à la plage avec les cinquièmes, que je ne reverrai plus non plus. Elena m’a offert des cookies, ça fait une semaine qu’elle m’en parle, et je pourrais en dire beaucoup, d’Elena, dont on m’a dit à l’occasion du conseil de classe : « on sait pas ce que tu lui as fait, mais elle s’est vraiment épanouie ». Je n’ai rien fait, enfin, si, une chose. Je lui ai dit que je savais. C’est pas la prof qui se la pète, là. C’est l’humaine qui résonne. Je lui ai dit que je savais, parce que ma mère aussi avait la sclérose en plaques. Je pense que c’est ce dont elle avait besoin, comme moi, à son âge.
Ewen et Yanis sont venus me trouver, à la fin de la journée, pour me dire qu’ils regrettaient mon départ, et ça m’a tellement touchée, surtout parce que c’étaient eux, deux gosses plutôt timides et fâchés avec le français.
Rose et sa copine que je ne connais pas sont venus nous chercher en salle des profs, Stéphane et moi, pour nous demander de poser avec elles sur une photo. J’ai donné mon adresse mail à quelques élèves, ils sont trop jeunes pour avoir envie d’en faire quelque chose, sauf Elena sans doute, mais les perdre pour toujours me laisse comme à chaque fois un goût amer.
Avant d’être le début de quelque chose, c’est encore la fin d’une autre, et j’ai plus que jamais tellement de mercis à partager, parce que comme je le disais ces gosses étaient sans fard, et mes collègues les meilleurs que j’aie jamais eus.
20 juin
Ce mois de juin, l’univers a décidé de tester les limites de ma résistance au stress, je pense. Après l’attente interminable d’un poste, me voilà à appréhender le décès probable de mon chat. Probabilité à laquelle je ne m’attendais absolument pas. Il y a dix jours il courait partout, ensuite il a disparu deux jours, et quand il est réapparu, il avait perdu 500g (ça paraît pas, mais sur un chat d’à peine 4kg ça fait beaucoup) et il était épuisé. La véto a diagnostiqué une anémie infectieuse, ses taux de globules rouges sont tellement bas qu’on se demande comment il tient encore debout. J’essaie de ne pas être pessimiste, il est coriace, mais… une chance sur deux, il va bien falloir que je me prépare.
Ajoute à ça que j’ai vraisemblablement chopé le covid, que je suis sur les rotules, que c’est la fin de l’année scolaire sauf qu’elle n’en finit pas, que je fais la route alors que j’ai de la fièvre, aujourd’hui j’ai cru que je ne serais tout bonnement pas en état de conduire pour rentrer.
Alors même si j’avais prévu de mettre des photos, de la musique, tout ça, je vais juste poster ça brut de décoffrage, aller prendre soin de Kitsu – et de moi.
4 commentaires
Oh mais non mais, mais… je lisais ton post tout sourire (enfin sauf le moment du yoyo avec le oui puis non il faut attendre) en me disant que c’était vraiment bien cette titularisation, que j’aime beaucoup lire tes échanges et progrès avec tes élèves et que tu as l’air d’être une prof géniale quand je suis arrivée au dernier paragraphe. Comment est-ce que vous allez tous les deux aujourd’hui ? j’espère que les nouvelles seront bonnes… Je t’embrasse
Merci <3
Hier nous sommes retournés en urgence chez le véto parce que Kitsu miaulait à fendre l'âme et haletait. La véto l'a ausculté pour la forme, elle n'avait rien à ajouter à son diagnostic, mais son pronostic était descendu à une chance de survie sur dix...
Depuis, j'ai pleuré au boulot, le chat a bien voulu boire tout seul un peu d'eau, et j'ai l'impression qu'il reprend un peu de forces. On croise les doigts.... Je crois que, même si on a du mal à en parler, Mathias et moi sommes d'accord sur le fait qu'à moins qu'il souffre, on le garde à la maison, et s'il doit mourir et bien il mourra chez nous. C'est aussi l'avis de la véto.
Pour reprendre sur une note positive, merci encore, c'est vrai que si je pensais bien être titularisée, l'affectation, elle, est totalement inespérée, et je peine encore à réaliser. Ma collègue finistérienne part, elle, sur deux établissements à une heure de chez elle... D'après le bulletin publié par le syndicat, j'ai le sentiment que les Côtes d'Armor ont été peu demandées cette année, et de mon expérience, ceux qui y viennent ou y vivent demandent la côte... Mais obtenir mon choix numéro 1, ça reste ouf ! J'imagine qu'ils ont tous forcé le trait pour nous préparer mentalement, quand ils nous ont dit "sans choix géographique, vous partez au national." Je ne sais pas. En tout cas, mon soulagement et ma joie sont immenses !
Est-ce qu’il y a un traitement ? quelque chose pour favoriser ces chances de guérison ?
Il prend des antibio et de la vitamine k, et on le nourrit à la seringue…