Écriture à la petite semaine #5
Demain est un autre jour.
I am not alone, I am not afraid, I am not unhappy
Tell me what ritual I should have today
Mardi 5 septembre.
J’ai passé un peu de temps au lycée, ce matin. Je venais pour la rentrée des BTS, et puis comme ni la directrice ni personne ne semblait en avoir rien à foutre, je suis partie. Je suis allée chercher mes clefs, prendre un café, et rapporter mon contrat à Karine.
J’avais conduit, même si avec Ubik sur le siège passager, parce que…
Karine a comme toujours été l’une des personnes les plus bienveillantes, les moins jugeantes que je connaisse (dans ma vie pro, quotidienne, je veux dire). Quand j’ai plaisanté en disant « c’est peut-être la crise de la quarantaine. Je sais pas, j’ai aucune raison d’aller mal en ce moment », elle m’a répondu « eh ben peut-être, oui. Peut-être qu’avec ta nomination, ici en plus, tout près de chez toi, et avec tout ce que tu sais de toi désormais, peut-être que du coup tu décompenses. »
J’ai passé du temps en salle des profs. Enfin, du temps. Au bout de trois quarts d’heure, j’ai commencé à me sentir mal. J’avais préparé un kit de survie, Eliness m’avait briefée :)
Dans la poche avant de mon sac à dos, j’avais glissé un caillou que j’ai ramassé sur la plage il y a quelques années, un des premiers que j’aie rapportés quand je suis arrivée en Côtes d’Armor. Je m’en suis emparée – de la main gauche, celle qui disparaît quand je panique. Et ça a marché. Je l’ai maintenu contre cette partie de moi qui s’efface, cette partie de moi qui meurt, et ça m’a ancrée suffisamment pour que personne ne voie que je n’étais pas entière.
L’après-midi, je faisais ma rentrée. La vraie : devant des élèves. Avant de rencontrer mes classes, j’avais rendez-vous avec le fameux directeur qui comprend ce que je raconte. Il m’a dit qu’il avait pas mal pensé à moi, qu’il en avait parlé avec Rozenn, la secrétaire du collège, parce que ce que je lui racontais, pour lui c’était vraiment ce qu’il avait vécu (et elle aussi, apparemment). Et quand je lui ai parlé de mon caillou, m’excusant presque d’avoir un cerveau débile, il m’a dit « tu sais, je comprends. Les gens qui n’ont pas traversé ça ne peuvent pas, mais c’est certainement pas moi qui vais te juger. »
J’étais arrivée dans son bureau dans un état de panique comme je l’avais rarement expérimenté. Je devais le voir à 14h. À midi trente j’étais allongée dans mon canapé à me retenir de sangloter, fixant mon appli de cohérence cardiaque. Pour la première fois, j’arrivais à m’expliciter ce que je ressentais : c’est comme si j’avais le vertige pour de vrai. Comme si j’étais debout sur une toute petite corniche, dos au mur et sans garde-fou. J’étais terrifiée comme si j’allais mourir.
J’ai fait comme il m’avait dit : ne prends pas tout sur toi, repose-toi sur eux. Heureusement qu’il m’avait légitimée à le faire. À l’heure de la récré, j’ai traversé la cour la tête penchée en avant, parce que j’avais l’impression de basculer en arrière et que je ne voyais pas d’autre solution que de rééquilibrer les forces ressenties.
Et ces cinquièmes… Bah des amours. Des amours parmi lesquels j’ai déjà repéré les pénibles qu’il va falloir rappeler à l’ordre, mais parmi lesquels il y a aussi celui qui m’a demandé : « et vous madame, comment vous allez ? » après que je leur ai posé la question (parce que c’est la rentrée, qu’il fait chaud, bref. Les gosses c’est très brut de décoffrage, et ça a un besoin vital d’être rassuré.)
Ils ont écrit au tableau à ma place, ils ont ramassé mes petites fiches de renseignement à ma place, ils se sont déplacés au bureau quand j’ai dit « désolée, je n’y arrive pas. ». Sans me lorgner, sans se gausser, même si je ne sais pas ce qu’ils raconteront chez eux.
Demain, je rencontre les premières STMG. Un autre monde. Surprenez-moi. Pleeease n’en profitez pas. Soyez sympa, je sais que je peux vous faire confiance.
Mercredi 6 septembre.
Évidemment, la 1e STMG a observé un silence religieux pendant les cinquante minutes que nous avons passées ensemble (sauf les footeux d’EAG, mais ils n’ont pas, loin de là, dépassé les bornes. Ça viendra au prochain cours.) Évidemment, dans la mesure où j’ai jamais vu une classe bouger le petit doigt lors de la première heure de cours (bon, sauf les troisièmes l’année dernière.)
Ils t’écoutent, ils regardent comment tu bouges, ils te jaugent sans en avoir l’air. Je ne leur jette pas la pierre ; ils ont besoin de savoir qui tu es pour savoir s’ils vont se sentir bien dans ton cours, si ça va peut-être les intéresser, qui ils peuvent être.
Paradoxalement, ça a été la pire heure de ma semaine (jusqu’à maintenant). Je suis partie de chez moi pas angoissée – enfin, Ubik m’a emmenée, alors que je devais tenter d’y aller seule, mais j’avais la gerbe et bref. Je suis montée en classe, j’ai allumé l’ordi, j’étais prête et plutôt sereine pour les accueillir, si on omet les vertiges. Pas de panique aujourd’hui, donc, mais tellement l’impression de basculer en arrière que, la seule fois dans l’heure où je me suis promenée dans la classe, je me suis tenue aux tables. Littéralement. J’ai passé presque toute l’heure assise, cramponnée à mon caillou, inspire expire putain ça tangue, et je les ai lâchés cinq minutes en avance (d’une manière qui m’a semblé tout à fait théâtrale quand j’ai réalisé que j’étais la seule à sortir de la salle, eux ils restaient là à attendre le cours suivant :D)
Je suis allée voir le CPE du collège pour lui dire que si l’AP 3e commençait aujourd’hui, je me sentais incapable de l’assurer.
Je suis allée voir l’infirmière, parce que tous les avis et tous les soutiens sont bons.
Je suis allée à pied au site de Saint-Do (nos sixièmes-cinquièmes sont dans un autre établissement, à dix minutes.) Ça prouve bien que je peux le faire, même si j’ai encore une fois marché tête baissée. Première heure avec les 5A : nickel ou presque. Deuxième heure avec les 5B : arrimée à l’estrade, sur laquelle je me suis carrément assise pour trier mes photocop’.
En fin d’après-midi, Ubik m’a emmenée à la plage. Nous avons nagé vers l’horizon que gommait le sable saharien, au creux des vagues on se serait cru au bout du monde. Soudain, de petites gouttes de pluie se sont mises à rebondir sur la surface ; on a levé les yeux, rien que du soleil et de fins nuages qui voilaient les nues. Cet enchantement fugace a opéré sur la plupart des gens présents, on s’est tous arrêtés brièvement, étonnés et joyeux. Comme si on avait pénétré par mégarde dans un entremonde, qui s’est empressé de refluer. Deux minutes plus tard, le ciel laissait présager une pluie qui ne viendrait jamais, comme une tentative de réparer l’anomalie à nos yeux mortels.
Jeudi 7 septembre
Le réveil a sonné, j’ai ouvert les yeux en sursaut et j’ai dit « j’en ai marre ». Plus envie, plus la force, c’est trop dur, c’est trop prendre sur moi, j’en peux plus. J’avais envie de pleurer. Du coup j’ai toujours pas conduit, Ubik ne comprend pas ce retour en arrière alors qu’avant la rentrée je prenais le volant tous les jours et que lui me parlait et que ça suffisait. Il s’essouffle lui aussi de tous ces allers-retours que je lui impose, viens me chercher, remmène-moi, je te jure je voudrais essayer d’y aller toute seule, mais j’ai trop peur, à nouveau j’ai trop peur.
Mon cours en 5B était foutraque, je dois me réhabituer aux séances de 55 minutes après celles d’une heure et demie l’an dernier. Mais ça leur a plu. Ils ont du répondant, c’est fou, dans cette classe ça fuse, et j’ai toujours été nulle pour canaliser la parole. Lilian était très fier de me montrer qu’il avait enfin fait son travail (la page de garde de son cahier, ouf !) Stéphanie, qui est AESH dans cette classe où se trouve aussi sa fille (les pauvres), m’a dit que cette dernière lui avait confié : « je crois que cette année, avec cette prof, je vais peut-être bien aimer le français. » Ne pas la décevoir.
J’ai fait une sieste ce midi, dont je suis sortie toujours aussi déprimée. J’ai repensé à Rozenn et à son traitement anti-dépresseur miraculeux, et j’ai gobé un xanax (c’est l’urgentiste qui me l’avait prescrit en traitement d’une semaine, et je ne l’avais pas pris.) Miracle des miracles : zéro vertiges pendant trois heures. J’ai rencontré les BTS pleine d’enthousiasme, plus sûre de moi que je ne l’ai été une seule fois ces dernières semaines (et j’ai adoré, je pense qu’il y aura moyen de faire des trucs chouettes avec eux.) Retour des vertiges à Intermarché, mais c’est hyper anxiogène, une grande surface dans laquelle tu erres sans savoir quoi acheter.
When I’m walking a dark road, I am a man who walks alone.
Cécile a confirmé par ses paroles et son attitude qu’elle fait partie de la catégorie des gens qui « ne comprennent pas. » Elle m’a redit que c’était le stress de la rentrée (j’aimerais bien savoir d’où elle tire pareille certitude, on ne se connaît ni d’Eve ni d’Adam), m’a répété d’aller voir un(e) sophrologue, et m’a vivement conseillé de ne pas réitérer l’expérience Xanax parce que c’est dangereux. J’avais envie de lui dire qu’on ne se procurait pas ce genre de pilule sans ordonnance et aussi que je n’étais pas idiote. Je sais parfaitement tous les risques qui entourent une prise régulière. Il se trouve que je fais partie de ces gens bizarres qui lisent les notices des médocs qu’on leur prescrit (et des autres, by the way.)
Bref, pas quelqu’un sur qui compter. D’une manière générale, les gens qui n’ont jamais rien vécu qu’un stress ponctuel et un rhume me fatiguent vite.
Vendredi 8 septembre
Ubik m’a laissé dormir et s’est tapé toutes les courses, avant de m’emmener à Saint-Brieuc revoir le kiné. La séance a duré une vingtaine de minutes. La pièce était plongée dans le noir, et un genre de lanterne magique version futuriste diffusait sur les murs des ovales lumineux qui bougeaient de haut en bas, de bas en haut, en diagonales (j’aime vraiment pas, en diagonales.) Moi, j’étais debout, lui assis légèrement en retrait, je ne le voyais pas, et je lui ai raconté ma semaine et comment je voyais les choses.
Il m’a dit qu’on ne se reverrait pas, et a salué ma lucidité, si je puis dire. Il m’a dit que j’avais de toute évidence tant conscience des dangers de la médication que de ses avantages à court terme, et que je m’engageais sur la bonne voie.
J’ai repris un cacheton en arrivant à Saint-Do, et j’ai passé deux heures chouettes avec mes demi-groupes de cinquième. Le soir, j’ai appelé mon père. À lui aussi, mon auto-analyse a semblé sensée. Il m’a demandé si je ne pensais pas que ma consommation d’alcool pouvait jouer un rôle dans ce qui m’arrivait. J’ai dit oui, non, c’est clair que l’alcool rend anxieux ; disons que je dois attaquer le problème à la racine puisque j’utilise l’alcool précisément comme un anxiolytique depuis des années. C’est ça, que je dois régler. Je dirais que dans mon cas, si j’abats Angoisse, je n’aurais plus besoin de l’alcool, qui la nourrit paradoxalement.
Je rentre dans ce weekend comme entre des parenthèses que je referme autour de moi. Mes dernières bières, peut-être. Le silence. Lundi, après une heure de cours, je rencontre la psy. J’ai tellement hâte. Après des années à lutter seule comme il se devait, parce que j’étais persuadée que c’était le seul choix possible, se tenir debout, juste ciller quand ça me griffait de l’intérieur, essuyer une larme quand ça crevait ma peau, je m’apprête à déposer les armes. Je suis tellement soulagée que j’ai envie de pleurer. Pour la première fois de ma vie, je suis parvenue à dire : « aidez-moi, je n’en peux plus. »
1 commentaire
Je suis soulagée par les derrniers mots de ton texte… il y a un moment où, oui, en effet malgré toute sa volonté, son courage, on ne peut pas tout faire seul(e). Parce qu’on a pas les bons outils, les bonnes solutions. J’espère que le rendez-vous s’est bien passé et que le contact avec la psy a été bon (très important) . J’espère aussi que ce début de semaine a été serein.