Farouche
Demain matin, je repars à Guerlédan.
J’y accompagne d’autres élèves et y serai accompagnée d’autres collègues. Tant mieux : je me sentirai bien moins seule avec Martine qu’avec Stephy, aucun doute. En revanche, les enfants seront fatigants. Mais ils se révéleront peut-être différents, dans ce contexte-là. Sortir du bahut c’est toujours voir un versant d’ordinaire inaccessible de certains gosses. Pas forcément le meilleur, mais.
Dans le miroir, l’ombre qui cerne mon œil gauche – celui que la lumière de dehors n’atteint pas – rutile. On ne la voit pas sur les photos, c’est un soupçon de bleu bordeaux que seul le demi-jour dévoile. Il raconte ma lassitude cachée, comme un tatouage à l’encre sympathique.
« J’aimerais que tu réfléchisses aux raisons qui te poussent à être aussi désagréable avec moi », m’a demandé Ubik dimanche dernier, après que nous nous soyons fait la gueule tout l’après-midi, suite à une dispute aussi bénigne que violente. Je lui ai ri au nez : je l’ai trouvé fort condescendant.
Après quoi nous avons de nouveau hurlé, surtout moi, et j’ai sangloté, aussi, mais seule dans mon coin, je n’avais pas l’intention de me donner en spectacle. Le fait est que je hurle quand le sentiment d’injustice me transperce. Et je pleure quand chacun des mots que je choisis échoue à remplir son office. Pourquoi et comment une suite de mots peut avoir autant de sens différents que de gens qui les prononcent et les reçoivent, c’est quelque chose que je ne peux pas comprendre.
La seule idée qui me vienne, c’est que la question posée n’est pas la bonne et donc n’appelle pas la réponse véritable. Ceci dit sans aucun jugement : qui pourrait la deviner, la bonne question, quand même moi je ne la connais pas ?
Toujours est-il que je connais la réponse. Je l’évite parce que j’ai l’impression de me regarder le nombril et que dans le contexte d’une engueulade, je ne crois pas que ramener la conversation sur un terrain égotique soit une brillante idée. Néanmoins, Amour, je n’ai aucun désir d’être désagréable avec toi. Je suis juste très lasse, donc impatiente et susceptible.
Ça ne fait que trois semaines qu’on a repris le taf mais j’ai beaucoup de mal en ce moment à suivre les conversations ou à m’y impliquer. Je trouve les gens bruyants et leurs propos superfétatoires. J’ai au moins deux collègues qui répètent chacune de leurs phrases deux fois et ça me rend dingue. J’ai du mal à trouver la patience pour entendre et gérer l’anxiété ou les colères adolescentes. Je ne supporte plus certains élèves de MCO, dont la bêtise assumée et le manque d’imagination m’atteignent personnellement. C’est con. Mais je n’y arrive pas.
J’ai commencé un des livres que m’ont offerts Mouk’ et Malo’. À un moment j’ai commencé à buter sur chaque phrase. Je ne crois pas que ce soit ça. Non, je ne peux pas prétendre que moi je fonctionne exactement comme ça. Est-ce que je ressemble à ça ? Putain je n’en suis pas sûre du tout. Et alors putain POURQUOI ?
Je crois que je ce que je me disais, c’est : si je trouve une clef, ça m’aidera. Et là je suis juste terrifiée à l’idée que la clef n’ouvre pas la bonne porte et que je me retrouve coincée devant un battant clos.
C’est sans doute con, j’ai lu cinq pages et je n’ai pas de vue d’ensemble et puis de toute façon qu’est-ce que ça peut faire, je sais encore qui je suis et comment je fonctionne, non ?
Je sais, et je ne souhaite pas être quelqu’un d’autre. Mais je voudrais, vraiment, une validation et un passe-droit. Parce que j’ai la certitude que je ressens « trop » fort, que tout m’atteint « trop ». Trop, en regard de ce qui est attendu. (Non Cécile, ce n’est pas « le stress de la rentrée ». Trop dans ce sens-là.)
C’est en ce sens que résonne si puissamment en moi le Nur ich nicht de Nachtblut. Telles personnes fonctionnent comme ci ou comme ça. Mais pas moi.
C’est dingue quand même le besoin viscéral que j’ai de trouver une place (une case ?!) quelque part.
Demain matin, je repars à Guerlédan, et je ne sais pas encore si je puiserai un regain d’énergie dans l’échappée (qui m’enlève sept heures de cours) ou si samedi après les portes ouvertes j’oblitérerai le monde faute de pouvoir contenir le trop-plein. Mais je t’aime, Amour. Ça n’a rien à voir avec toi.
3 commentaires
Je me permets de donner mon avis puisque tu en parles ici :)
Je ne crois pas que ce soit forcément narcissique de parler de soi. Et je crois que c’est précisément ce que te demandait Ubik. La question « Pourquoi tu es désagréable avec moi » revient à « Dis-moi ce qui se passe en toi ». Les conflits ne se règlent pas en parlant d’autre chose que de soi et de l’autre. Sinon ce sont des conversations qui tournent à vide, non ? Et puisque tu es convaincue, ce qui est tout à fait possible, et de toute façon c’est TA vérité, que tu ressens « trop » les choses, bah du coup, oui, ça explique la fatigue, l’impatience. Ubik a sa réponse, et c’est une base pour chercher des solutions pour arrondir les angles, il me semble.
Ah, et pour le livre, je pense que c’est normal, Franck a ressenti les mêmes choses et s’est posé les mêmes questions. Mais… tu vas avoir besoin je crois, attention mot tabou, d’un peu de patience :D Tu sais comme avec la psy, faut défaire les nœuds. C’est un peu long et pénible.
J’espère que la sortie à Guerlédan s’est bien passée en tout cas :)
Ça me rassure de savoir que Franck a ressenti la même chose !
Je vais avoir besoin de… QUOI ?! :D
Merci pour ton avis, tu as raison, d’une part il est tout à fait le bienvenu puisque (discrètement, n’est-ce pas ;)) sollicité, et d’autre part il me semble tout à fait juste. Sur le moment ce qui m’a rendu dingue c’est que j’avais envie de lui retourner la question selon mes termes qui étaient : « J’aimerais que tu m’expliques pourquoi tu es si putain de susceptible » :P
Guerlédan était super mais on a eu très froid et maintenant je suis malade ^^
Ton 2ème paragraphe me trouble, on dirait que je l’ai écrit.
Et personnellement, je n’ai aucune patience pour défaire les nœuds de ficelle ou de bijoux emmêlés. Au propre, surtout, et probablement au figuré aussi.
Bon courage, j’espère que tu vas mieux