Funambule
Apparemment, il y a des cycles qui débutent et se perpétuent sur des hasards, et cette année encore Mars et Avril sont indissociables.
Quand je pense que Mars est le mois que j’attends le plus, et que ça fait deux fois qu’il me file sous le nez, ça me fait bizarre.
En même temps, il était blindé, cette fois. Autant l’an dernier c’est Avril qui m’a achevée, entre le concours et l’appendicite, autant là, l’arrivée du printemps a coïncidé avec un maelström de nouveautés (c’est très exagéré, mais j’aime bien avoir deux mots avec des trémas qui se succèdent dans ma phrase.)
Inspection de titularisation le 6, j’ai écrit un billet un peu cryptique parce que j’avais pas envie de me vanter, et puis tu vois ça m’est passé donc, oui, je suis très fière et je me suis d’ailleurs un peu trop reposée sur mes lauriers depuis (par contre, ça a complètement changé ma relation à la 4B, comme si on avait fait un pacte eux et moi, et que puisqu’il avait été respecté de part et d’autre, on avait désormais une relation stable, confiante, et, oserais-je le dire, heureuse.)
Ensuite l’Allemagne, mélange bizarre de bouffée d’oxygène et de tension. Le retour a été hardcore, j’ai mis la semaine à me remettre du passage à l’heure d’été, de la fatigue et du décalage avec le quotidien. Et puis du coup paf c’était déjà Avril et j’ai eu l’impression d’une attente, comme en Juin et que l’année n’en finit plus de s’achever. J’ai toujours hâte aux vacances et je vais pas prétendre que c’est pire cette fois, mais j’ai très très envie de profiter du printemps CHEZ MOI.
« Ajuster » et « Un air de jeu » sont les seuls billets dont j’aie des raisons d’être fière depuis le début de l’année. Entre les deux je disparais – derrière les lignes. Je sais que je suis là, on ne peut pas être plus là que devant des élèves. Mais on s’y dissout, aussi. On se dissout dans tous les métiers, je sais. Mais d’une manière différente. Enseigner m’est bien plus gratifiant que de tenir la caisse d’un supermarché, mais ça me demande une autre énergie. Je funambule et souvent je tombe – de pas très haut, certes. Aujourd’hui je ne savais même plus utiliser les mots adéquats, j’ai dit « péter un bras » ; quand je suis fatiguée la langue soutenue m’échappe parce que je suis toujours violente et brute de décoffrage au naturel.
Mardi : « Je sais que je devrais être patiente.
– Mais vous êtes fatiguée et vous en avez marre.
– Voilà.
– C’est pas grave, madame, on comprend. »
C’est choupi au dernier degré. Mais si, c’est grave.
Y’a jamais rien de fixe, dans ce boulot, c’est ce qui le rend si génial, et si épuisant. Ça fait six semaines que les 3e ont cessé d’être des élèves et sont redevenus des ados avachis et rigolards (mais toujours courtois et gentils). À côté, les 5e restent fidèles à eux-mêmes, drôles, surexcités, fatigants, motivés, puérils, adorables. Tandis qu’avec les 4e, les relations s’approfondissent, je m’appuie désormais sur des élèves sur qui je n’aurais pas parié et dont je ne comprends d’ailleurs pas la motivation pas si soudaine – ils sont les seuls à me donner l’impression qu’à moyen-long terme, on peut vraiment construire quelque chose avec des gosses. Y’a plus de bravade, quand je les engueule. Juste un silence contrit, et des tentatives de me faire revenir à de meilleures dispositions, qui m’émerveillent.
Je me suis efforcée à ne pas parler trop de mon taf ici, parce que c’est plus difficile à crypter, et qu’il me semble devoir le faire un minimum, pour ne pas laisser trop libre cours au narcissisme. Et puis j’ai beaucoup lu Monsieur Samovar ces deux dernières semaines, trop, ça m’a même un peu saturée, mais au final ça m’a fait un bien fou. On passe la majeure partie de notre temps éveillé au boulot, et pour ma part j’en tire généralement un immense plaisir. Et je me rends compte que le passer sous silence, c’est taire tout ce qui fait l’essence de ma vie actuelle – essence dans les deux… sens : c’est tout autant mon carburant que ce que je suis au fond de moi, ce qui se déroule là-bas.
En toute honnêteté, je pense que Samovar est un excellent prof, mais je ne veux pas écrire comme lui parce que j’y lis tout de même un brin d’autocongratulation. Je le comprends et le respecte : si on en s’envoie pas de fleurs, ce ne sont pas les parents ou la société qui le feront. Toutefois je n’ai pas envie de te livrer le récit quotidien de mes batailles.
En revanche, et peut-être pour faire le lien avec le billet précédent, c’est sans doute devant les élèves que je me rapproche le plus de Kalys. C’est sans conteste devant eux, parce que c’est là que j’agis et interagis le plus, que je suis le plus moi.
C’est devant eux que je fais le plus et le moins d’efforts. Le plus pour « remplir ma mission », du moins celle que j’estime être mienne – réfléchir, même quand c’est sur un coin de table, à la meilleure façon de passer une compétence, un savoir, et à la manière de l’ajuster, d’en faire quelque chose que n’importe qui soit à même de porter, y compris celui qui sait à peine lire ou celle qui n’en voit pas l’intérêt.
Le moins, parce que je m’embarrasse beaucoup moins de conventions avec eux, et que si je suis crevée ou de mauvais poil, ils sont les premiers à le savoir. Ça me paraît équitable : on passe quand même tout notre temps à prendre en compte le fait qu’ils sont des gosses avant d’être des élèves.
J’ai dit tout à l’heure que c’était grave : ça l’est quand au-delà de l’humain, t’es trop lessivé pour faire ton taf. Le juste milieu se situe quelque part entre « vous savez que je ne suis pas au top et donc vous en tenez compte » et « du coup j’abandonne. » Évidemment. Et parfois, quand ton métier consiste à parler avec des gens, la limite est difficile à trouver. Et donc c’est là que je me révèle, que je me trahis ou que je me traduis, comme tu veux. Ça vaut le coup d’être écrit, je crois – narcissisme sans honnêteté n’est que ruine de l’âme, n’est-ce pas ?
*
Depuis que je fais ce métier, j’ai cessé de disparaître quand je n’écrivais pas (j’en ai eu la révélation y’a cinq minutes, les épiphanies ça n’arrive jamais au moment où t’en as besoin.)
Par contre, je me suis mise à courir, et j’ai du mal à m’arrêter, ça me prend des jours pour ralentir et encore, je me prends le mur en arrivant.
Hopefully, la prochaine fois je te mettrai la version piano avec Sofiane Pamart, parce que j’aurai réappris à marcher. J’ai jamais vu de funambule courir sur le fil, quoique j’en aie déjà vu un qui y roulait en moto. Je n’ai plus besoin de trouver le sens, mais le rythme, oui.
2 commentaires
C’est clair qu’enseigner demande une énergie folle mais c’est aussi réellement plus gratifiant que d’autres métiers comme tu le soulignes. Vu le temps qu’on passe au travail, il est difficile de ne pas en parler sur ce genre d’espace. Contente de voir que les relations avec les élèves sont bonnes (la plupart du temps ^^) et je t’admire vraiment pour ça, moi les ados ça me fait flipper !!
Profite bien de tes vacances et du Printemps :)
C’est parce que j’adore les ados que je me suis épanouie dans ce métier, malgré des débuts catastrophiques :)
Prends soin de toi !