Hantée – bilan 2024
Lutter, avancer, tomber, recommencer.
Des vagues à lames
Logée au cœur de la nuit la plus longue, je tisse. Un chemin, une silhouette. Des habits d’étoiles pour ne pas déton(n)er.
Alors la Fureur, qu’en faire ?
L’écrire. La broder elle aussi aux revers de mes manches en runes de flammes et d’orage. L’encrer, peut-être, sur ma peau, à défaut de l’y graver – ce n’est pas moi qu’elle est censée détruire.
Angoisse, c’est plus compliqué. Elle est Ce Qui Est Arrivé ; elle se croit Ce Qui Est À Venir. Elle n’a pas besoin d’être nourrie, même si elle se sustente du moindre accroc – un petit bout de fil à tirer dénouer tracter vers ses doigts-couteaux. Nornes, Moires ou Parques, elles mangent des os et s’il n’y a rien à ronger, elles t’enfilent des échardes à travers la chair.
Je ne la déteste pas tant que ceux qui la provoquent. D’une mère et d’un fils je retiens la nonchalance avec laquelle les gens malveillants peuvent te détruire, comme s’ils ne savaient rien de ce que ça coûte, de se rebâtir, comme s’ils ne savaient pas combien il est plus facile de rompre devant Angoisse que d’ériger des piédestaux à Sérénité, combien cette dernière est magnifique et inaccessible. Et je les hais d’autant plus qu’ils devraient – moi je le connais, leur drame. Moi je le connais et je devrais donc leur pardonner – puisqu’eux ne connaissent pas le mien.
Revoilà donc Fureur.
Point de sutures
Je couds. Tout reste à sa place. Sous la peau, un nœud après l’autre.
Est-ce qu’ils ont vu, que j’ai manqué m’évanouir ?
C’est la nuit la plus longue et je retire les sparadraps qui camouflent bien mal ce désastre chirurgical.
Évidemment, il pleut. Est-ce que c’est une pluie d’entre deux mondes, entre deux saisons, une pluie sous laquelle se laver ? Je ne le saurai pas, elle a cessé avant que je ne me décide.
C’est peut-être parce qu’avant d’envisager l’oubli j’aurais dû me demander si je cherchais l’absolution, la négation ou le renouveau. Je suis toujours à contretemps. Des seuils se révèlent, des abîmes s’ouvrent ; je demeure aux croisements, hésitant entre ce qui a été et ce qui pourrait advenir.
Restons-y un peu. À l’orée d’hier et de demain il y a des choix à faire, et rien ne presse. C’est l’hiver : précisément le temps d’enfouir des choses dans la terre ; certaines pour les y préserver, d’autres pour les y inhumer.
Hier
Janvier fut l’époque des bilans, tardifs et plutôt laconiques. Écume d’un deuil d’été. Une résolution fut prise, un espoir formulé, qu’il faudra examiner, tout à l’heure.
Février était un mois de silence, que des choucas ont interrompu.
Mars au contraire était carmin, j’y ai été férine, titubante et féroce, lasse et triste. À Lanzarote, terre noire, eau gris-bleu. Sans air, ni, eau, ni poussée de sève, pas de printemps.
Et il est arrivé, le 11 avril, et reparti. 2024, l’année des trombes.
Mai toutefois s’est montré ensoleillé. Il y a eu une première échappée, des vagues vert et or et des jours repliés.
En juin : une journée NULLE (c’était en majuscules, je les y laisse), l’écho de mes pas dans des couloirs et des pensées, un bilan de dix ans de carrière, qui en faisaient onze, et la première des « chroniques de la prairie ».
Juillet a été l’un des mois préférés d’Angoisse, mais on s’est bien défendues. J’ai eu quarante ans. La gratitude et la joie que j’ai ressenties à cette occasion, je les ai emportées, petites pierres précieuses que j’examine souvent et que je chéris.
En août il a fait beau – une fois. Ce n’est pas vrai, en tout cas peut-être qu’en Bretagne il pleuvait (c’est à se demander si les portes de Samhain s’étaient correctement fermées, en 2023), mais sur l’île de Ré on s’est baignés dans la lumière, qu’on a fuie à Cholet. J’ai célébré, à ma façon foutraque, qui était, en soi, la preuve et l’acceptation d’un héritage.
En Septembre aussi, j’ai honoré une autre fin et un autre début, instauré des rituels, et nagé au milieu des requins. J’ai marché sur mon ombre.
Octobre. Une dissolution / explosion, une balade et une parenthèse enchantée.
Alors en Novembre, j’ai posé une nouvelle clef, et ça a réchauffé un fantôme. J’ai capturé des aurores boréales pour les projeter sur mes plafonds.
Il fallait, pour Décembre, de nouveaux rituels. La liste est inachevée, parce que sidération et épuisement.
Aujourd’hui
Le jour qui succède au solstice, je n’ai plus aucun doute quant à la qualité de l’eau et du vent : d’Ailleurs, c’est certain. D’un automne qui n’en finit pas d’agonir les autres saisons sous la pluie et les températures trop clémentes. Il y a quelque chose qui s’est détraqué, dans la mécanique du temps.
« Je parie que vous n’avez jamais parlé au Temps.
– Cela se peut bien, répliqua prudemment Alice, mais je l’ai souvent mal employé.
– Ah ! voilà donc pourquoi ! Il n’aime pas cela, dit le Chapelier. »
J’ai dans le ventre des aiguilles qui saccadent et des tours qui s’effondrent. Je n’ai pas écouté, je ne pouvais pas. On doit toujours bien plus qu’on ne peut.
Aujourd’hui c’est déjà le 27. Mais en parler c’est déjà en faire un hier. J’aurais été malade sans cela. Alors poser ceci : aujourd’hui c’est toujours un peu la conséquence d’hier et hier c’est toujours un peu maintenant parce que
parce que
parce qu’au moment où on l’a vécu c’était maintenant et parce qu’après on peut continuer à marcher dans ces pas-là. On laisse derrière soi des fils (rouges) dont je ne suis plus vraiment sûre qu’on les dévide. C’est plutôt comme si on se construisait en les rembobinant.
Ce soir je résulte de la pluie froide et des illuminations de Noël sur les corps qui se couchent en riant sous des arcades valant millions. Je suis un puzzle dont la première pièce comme toujours est posée : le centre, le ventre (la douleur).
Le reste gît éparpillé sur les autres pièces, à moins que ce ne soit entre elles – peut-on envisager que ce qui se donne à voir est l’essence ?
« Normalement, le sang est caché dans le corps. Dans mes premières performances et vidéos, je l’ai montré à l’extérieur. »
Demain
Quand je ne sais plus je tire une carte. Nulle chiromancie, c’est moi qui choisis. Je suis mon propre oracle, c’est Angoisse qui me l’a appris au gré de ses fulgurances et de ses somnolences. Ma préférence va au Bateleur, mais ma lame de cœur, mon arc majeur, c’est le Mat. Il va sans dire j’imagine, que si je puise aux cœurs des symbolismes j’applique toujours les miens. Alors, le Pendu, parfois.
Aujourd’hui je choisis pour demain : le Diable. Je ne me mets pas en garde contre mes emportements ni ne m’incite à mesurer mes excès. Je fais le choix de la colère.
Oh, je sais. Même moi je me suis demandée si j’allais l’écrire.
Elle restera couturée à mes manches, « en runes de flammes et d’orage ». Elle sera un rappel. Je fais le choix de la lumière.
Ça suffit, la naïveté, la confiance donnée, la croyance en l’empathie, et ça suffit, putain ça suffit, les excuses dont j’ai gratifié autrui, pour justifier à sa place de ses erreurs, de ses manquements. Ça suffit les gouffres dans lesquels je tombe pour une chiquenaude, les hurlements d’Angoisse, les larmes essuyées d’un revers de bras parce qu’il faut avancer. Ça suffit.
Je fais le choix de la clairvoyance, de l’acceptation du chaos et de la fureur des voix. Je n’abdique pas, comprends-moi bien, c’est tout le contraire. Je ne jette pas Sérénité aux requins. Je choisis le Diable pour qu’il m’éclaire. C’est à moi que j’en veux.
Dans chaque rituel, j’ai cherché du sens. Dans chaque parole, aussi. J’ai envié les priants parce qu’ils ne se parlaient pas qu’à eux-mêmes – et je les ai méprisés, pour les mêmes raisons.
Pourtant, les mains jointes, ce soir-là, c’est au seuil de mon propre sanctuaire que je me tenais, et je n’ai jamais cru que l’univers m’adressait ces signes que j’ai vus. Je comprends, maintenant. Il n’y a pas d’autre sens que celui que je choisis, et ça ne l’empêche pas d’être sacré. La plage où je descends, les fantômes qui m’épaulent, les signes entr’aperçus, c’est la façon dont je choisis de lire le monde. Elle n’est ni bonne, ni mauvaise, il n’existe pas de vérité en la matière – si ce n’est qu’il faut avoir conscience qu’elle est un choix.
Je veux marcher en paix avec le Temps, m’accorder à mes propres cycles et demeurer libre. De mes actes, bien sûr, mais surtout libre à travers mes émotions, ou au-dedans d’elles (cette allitération n’est pas fameuse), je ne sais pas. Je me rends compte, depuis Kitsu, depuis le Vertige et surtout depuis la femme-poison, que parfois je suis totalement submergée par mes affections, c’est comme me noyer dans une mer déchaînée. Je ne peux plus vivre comme ça. Surtout, je ne veux plus que quiconque, hormis les êtres aimés, ait un tel pouvoir sur moi.
Alors le Diable, oui.
Consolider
« Entretenir les habitudes qui me font du bien. Continuer de me retaper, physiquement et mentalement. Apprendre à me faire davantage confiance, et installer des garde-fous durables. Accepter d’être parfois un peu malmenée (…) pérenniser les relations qui me font grandir, étayer davantage mes savoirs et renforcer dans la pratique de mon métier les habitudes et les méthodes qui fonctionnent. »
Tout ça, je l’ai fait – mais les garde-fous n’étaient pas assez solides. Aussi le mot qui me traîne dans la tête, c’est « fortifier ». Plutôt au sens d’ériger des fortifications qu’à celui d’accroître ou d’affermir. Je ne sais pas encore si c’est celui que je choisirai, dans quelques jours, mais ça reste une prière muette à valeur performative, que je me répète pour en fonder le sens.
S’appesantir un peu moins ?…
J’ai l’impression parfois de m’emmurer, à force de chercher un peu de solidité. Ces derniers jours je ne sais plus du tout où et quand je suis. Les croix sur le calendrier s’arrêtent le 16 décembre. Je suis triste et fatiguée, et paumée, et heureuse aussi d’être tout ça, heureuse d’être quelque chose même si je m’épuise un peu à chercher l’équilibre.
Je crois toujours m’être débarrassée de ce qui me hante. C’est agité, surtout. Ça change de forme, parfois. Mais ça ne part pas. Peut-être alors que le meilleur verbe pour 2025, ce serait communier.
3 commentaires
Je suis en sécurité devant la vitre que tu as laissée entrouverte et je veux juste t’envoyer une bise de l’extérieur. J’ai toujours aimé voir chez les gens en passant devant leur fenêtre.
J’adore ces articles-là.
Moi aussi j’aime tellement :)
Merci !!
[…] une nécessité, ça ne me plait pas d’en faire un souhait pour l’année à venir. L’impression de m’emmurer, disais-je. J’ai envie de conserver ce « savourer » qui me piquait la langue il y a […]