La fileuse et son miroir
« Ceci surtout : demandez-vous, à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : dois-je écrire ? »
J’aimerais écrire un billet par semaine. Encore faudrait-il avoir quelque chose à dire. J’entends par là quelque chose de personnel, qui ne se résume pas à une participation au concours de celui qui pissera le plus loin en arrosant le plus de têtes, et qui possède du sens – pour moi comme pour, éventuellement, le lecteur. A-t-on tant de choses à exprimer, chaque jour ? Combien y a-t-il, réellement, de sujets qui vaillent la peine d’être esthétisés ou exposés ?
Non que l’écriture se doive d’être sérieuse. En revanche, il me semble que la publication devrait l’être. C’est-à-dire qu’on peut traiter de sujets amusants, légers, triviaux même, mais que sans autre raison que celle de se montrer, d’occuper l’espace, est-ce que ça représente le moindre intérêt ? D’où ma question : est-ce que, chaque semaine, je serais capable de partager une réflexion, une anecdote, un coup de cœur, qu’importe, parce que je le dois, parce que ça vaut le coup ? Comme une pierre à ajouter à un édifice (un mur, allais-je dire, parce que j’adore les murs, mais leur symbolique est plus ambiguë.) Écrire en gardant à l’esprit l’importance des mots, plutôt que d’utiliser Internet comme si c’était une décharge ?
Disons que j’aimerais cesser une bonne fois pour toutes de bombarder autrui de petits cailloux visant à lui faire rentrer dans le crâne que j’existe et que tout ce qui m’interpelle un minimum devrait le fasciner. Je ne pense pas faire encore beaucoup ça, mais, au risque de me répéter, serais-je capable d’écrire plus régulièrement sans retomber dans ce travers ?
J’imagine que le fonds de ma question, c’est : comment s’effacer derrière les mots ? Et très certainement aussi, pourquoi le faire ? Qu’est-ce qui motive un partage ?
Un écrit très crypté ne manque pas d’intérêt, mais celui-ci sera « seulement » littéraire. Au contraire, un écrit très transparent aurait sans doute plus sa place dans un confessionnal, le bureau d’un psy ou un salon rempli d’amis. L’entre-deux ne me plaît pas plus dans la mesure où je ne peux m’empêcher de penser qu’il n’aura ni saveur artistique ni valeur sentimentale. Je crois qu’à tout prendre je préfère la crudité des émotions, mais c’est parce que je ne suis pas câblée pour voir la nuance, c’est un de mes plus grands défauts de fabrication. À vrai dire, si j’ai mis des guillemets plus haut, c’est parce que je crois qu’un écrit métaphorique pourra potentiellement transpercer beaucoup de gens.
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Quelques heures après avoir commencé ce billet dans le plus grand des calmes, ces questions me heurtent d’autant plus que je prends la vague de plein fouet. « La Vague » : un mélange d’alcool, de film troublant et, le pire des maux, de musique. Ajoutez une pincée… d’angoisse ? De tristesse ? D’un sentiment nauséeux qui navigue entre exaltation et dégoût, ivresse d’absolu et odeur de caniveau. J’ai toujours envie d’écrire quand j’ai le goût du houblon sur la langue et des mélodies toutes personnelles au bout des doigts. J’ai envie de crier « regardez ça, c’est magnifique ! » et au fond je sais que j’en parle moins par désir de partager que pour faire entendre le hurlement que j’étouffe dans mes entrailles. Je cherche à être comprise et aimée, pas à discuter. J’ai jamais dépassé le stade du « jte percute de plein fouet et on va s’aimer parce que c’est obligé. » Pas quand j’écris, en tout cas.
L’écriture m’est si naturelle (je veux dire par là que c’est un réflexe, pas que j’écris bien) et si essentielle que j’ai bien du mal à m’en dissocier. C’est ce qui fait de moi une mauvaise romancière : je ne sais pas couturer. Je ne sais pas bien raconter autrui – j’ai vraiment peur de le trahir, de ne parler que de moi – et je ne sais pas écrire le trivial, au sens où je suis obsédée par l’idée de traduire l’absolu : la déchéance comme l’extase, mais toujours le trop-plein. Pour le reste, je n’ai pas de mots, quoique j’aie essayé, sur ce blog comme dans mes journaux intimes.
J’ai grandi, sans doute. Mais je crois qu’au fond je reste cette fille que l’absurdité cisaille. Cette fille qui préfèrerait gerber ses tripes à genoux que de cheminer tranquillement vers la mort. Ce que je fais tout de même, évidemment. Mais écrire, c’est magnifier. C’est tout ce qu’on a – les mots, la pellicule, la gouache…
C’est sans doute pour ça qu’à tout prendre je préfère la crudité des émotions. Mes artistes préférés passent leur temps à hurler. J’ai parfois l’impression que le hurlement est la seule réaction saine face à la mort.
Je cris et j’écris parce que je vais mourir. Je ne comprends pas que cette perspective ne guide pas les actions de chacun. Je cris et j’écris parce que j’ai vu mourir. Longuement. Mais c’est déjà un autre sujet, dans la mesure où il m’inspire plus qu’une réflexion sur l’écriture.
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J’écris pour exister. Pas pour qu’on me regarde. J’esthétise pour être décryptée avec bienveillance. Mais j’écris pour que chaque mot rejoigne le putain de feu d’artifice que devrait être ma vie – oui, la mienne. J’ignore pourquoi mes contemporains préfèrent tondre leur pelouse que de crier qu’ils sont en vie. Peut-être ne saurai-je jamais m’effacer derrière les mots, peut-être n’aurai-je jamais rien de plus à dire que « regardez ça, c’est magnifique ! » Sans doute n’ai-je jamais écrit pour une autre raison. Parce que la vie est belle et foutument terrifiante, et qu’il m’importe autant de me souvenir que de laisser une trace. Je me demande si ce n’est pas un motif suffisant, quoiqu’un brin narcissique. Franchement, qui ne l’est pas, face à la mort ?
Ubik, qui est un inconditionnel de Star Wars (la première, l’unique trilogie, évidemment), me répète souvent : N’essaie pas. Fais-le, ou ne le fais pas. Je vais toutefois essayer d’écrire plus souvent, dès la rentrée, si j’estime possible de caser un créneau hebdomadaire dans mon emploi du temps.
La citation qui ouvre ce billet est extraite des Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke, malheureusement, j’ignore qui créditer pour la traduction…
3 commentaires
C’est drôle je pense que je me sentais à peu près comme toi hier soir :)
Je pense pas mal à ça ces temps-ci, mon incompréhension devant la façon de vivre des gens, qui semblent préoccupés par tout sauf par la vie, et la mort.
Pour répondre à un truc que tu dis dans ton billet, ça me paraît profondément naturel et humain de vouloir être aimée et comprise. Et ça l’est tout autant d’avoir envie de partager ce qui nous bouleverse. Après je comprends tes questionnements, qui sont liés à la forme du blog. Mais il y a toutes sortes de raisons d’écrire, et je pense qu’elles sont toutes bonnes, en fait. Après le truc c’est de trouver un mode d’expression, parfois aussi une régularité, qui sont en harmonie avec nos besoins et désirs. Et puis faut garder à l’esprit qu’écrire c’est toujours tendre une perche à quelqu’un, toi t’as peut-être l’impression de le faire « agressivement », mais je crois pas que ce soit possible, en fait. Pas par ce biais-là.
Et aussi, on parle toujours de soi quand on écrit, à mon avis, qu’on soit romancier ou non. Là encore… Le truc c’est de trouver la manière d’écrire qui sonne juste à nos propres oreilles, et aussi qu’on trouve… « confortable », j’imagine. Car faut se sentir en confiance pour s’exprimer. Se remettre en question c’est bien, mais le faire en permanence c’est contre-productif et faut savoir se lâcher du lest aussi. Je ne pense pas qu’une forme d’écriture est supérieure à une autre. La seule chose qui compte vraiment, c’est d’être satisfait de soi-même un minimum, et pour ça, faut simplement avoir le sentiment d’avoir accompli ce qu’on voulait, dans le cadre qu’on s’est donné.
Mais que ce soit par un roman, un mail, un blog, une fanfic, écrire est à la fois narcissique et toujours en perpétuel dialogue avec l’autre, c’est pour ça que je dis que ça n’existe pas vraiment « d’écrire pour soi’.
Enfin je vais m’arrêter là pour la séance maitre Yoda, puisqu’on parlait de lui :D
Et pour les Lettres à un jeune poète, c’est probablement la trad de Claude Mouchard et Hans Hartie :)
Comme souvent, l’intensité et la vulnérabilité de ce texte me touchent, d’autant plus par les thématiques qu’il aborde tu t’en doutes ;) Je n’ai pas actuellement la force de rebondir sur « écrire pour vivre vs. la mort » mais ça me parle très très fort.
Lorsque j’ai commencé à m’imposer une publication régulière, j’étais hantée par l’égocentrisme de générer du bruit inutile. Je voulais que ce que je publie ait de la valeur et ne fasse pas perdre son temps au lecteur. Au fil des écrits, j’ai réalisé que seul ce dernier était capable de juger ce qui était important / percutant pour lui, et que je n’avais aucun contrôle sur sa réception. J’ai reçu des messages bouleversants suite à des articles que je croyais insignifiants voire déplorables, tout comme d’autres textes dans lesquels je tendais le bras très fort n’ont reçu aucune réponse. Cela a énormément soulagé la pression que je me mettais : les personnes qui me lisent n’en sont pas forcées, c’est leur choix, et je n’ai aucun contrôle sur leur jugement.
« Encore faudrait-il avoir quelque chose à dire. » –> Je me convaincs que c’est au contraire en se poussant à écrire même sans savoir sur quoi qu’on arrive à trouver sa voix :)
PS : Mon idée initiale était comme toi une publication hebdomadaire. J’y ai appliqué un enseignement d’un module de gestion de projets que j’avais eu à la fac : double toujours le temps que tu estimes pour un projet. Bien m’en a pris ;)
[…] je nettoyais les chiottes en écoutant de la transe (et après on se demande pourquoi j’ai pas envie d’écrire les trucs triviaux) et la Vague m’est remontée du fond des tripes. Je suis restée comme une conne avec ma […]