Lanzarote
Pour ses soixante-dix ans et à la faveur d’un héritage inattendu, belle-maman nous a payé un voyage à Lanzarote.
Nous, ce sont ses trois enfants et leurs conjoints, dont je fais donc partie. Je ne pense pas que nous avions déjà passé autant de temps tous ensemble. Ces souvenirs me sont d’autant plus chers qu’ils me ramènent aux premières émotions que j’ai ressenties lorsque j’ai rencontré ma belle-famille : je n’avais jamais vraiment mis les pieds dans une famille « normale » avant.
J’appréhendais énormément ce voyage, parce que j’ai peur en avion et parce que mon cerveau me complique quelque peu la vie depuis l’été dernier.
Dimanche 3 mars, 16h33
Impressions éparses : à Rennes, au cœur de la nuit, être prise de vertige à l’idée d’être empilée au-dessus de vingt-cinq étages de gens, et d’essayer de multiplier ce nombre à l’échelle de la ville.
Le lendemain, 6h du mat’, marcher au pas de course derrière le père L qui stresse d’arriver en retard à la gare (nous sommes très en avance) ; passer devant les Champs Libres et l’allée en surplomb qui me fait toujours tant rêver, croiser des fêtards pas encore couchés, et des SDF blottis sous les arches.
7h. Voiture 8, tout le monde dort et cette image me réconforte curieusement.
Plus tard, à Paris-Charles-de-Gaulle, ressentir les symptômes croisés d’un malaise-panique au milieu de la file d’attente pour le contrôle des bagages et des personnes. Sourire de l’obéissance soumise d’Angoisse devant maîtresse Xanax. La température qui baisse, le corps qui se stabilise, le reste du voyage se déroule dans l’impression que là, oui là par contre je devrais avoir peur, mais en fait je m’en fous.
Émerveillement lorsqu’à travers le hublot apparaissent les côtes de Lanzarote. Je ressens une fascination-répulsion étrange au spectacle de cette terre noire et ocre dominée par la silhouette menaçante d’un volcan, dont je ne sais même pas s’il est éteint.
L’hôtel est l’endroit le plus luxueux dans lequel j’ai jamais mis les pieds – pourtant j’ai passé une nuit au SPA de Perros-Guirec. On nous propose à chacun un verre de cava à la réception, puis un… majordome ? place nos bagages sur un charriot et nous conduit à notre chambre. Il est d’une courtoisie exquise, pas obséquieuse, et nous indique les services de l’hôtel avec le sourire. Il y a un bain à remous dans notre chambre, qui a vue sur mer.
Par contre, comme en Italie, les toilettes n’offrent aucune intimité. Porte battante, en verre, heureusement qu’Ubik et moi sommes devenus experts en stratagèmes pour préserver la « magie du couple » !
La salle-à-manger consiste en un immense buffet, où l’on peut trouver à peu près tout ce que les cuisines du monde ont exporté.
Ce premier soir, après dîner, nous passons au Spar nous approvisionner en bières et prolongeons la soirée dans la chambre parentale.
Lundi 4 mars
Hier nous avons visité le jardin des cactus, puis la maison de César Manrique.
L’hôtel a livré à Evelyne une bouteille de cava pour son anniversaire, nous l’avons partagée après avoir fait quelques longueurs dans la piscine. Nadia en a profité pour offrir son cadeau, et quel cadeau ! L’annonce d’une grossesse qu’Evelyne n’espérait plus, persuadée que sa fille avait emprunté le même chemin que ses deux belles-sœurs. C’était très émouvant. Quand j’ai connu Nadia, elle avait quinze ans… Et puis, c’est magnifique, une grossesse, c’est vertigineux. Si je ne regrette en aucun cas d’avoir fait le choix inverse, je n’en suis pas moins bouleversée par le petit miracle qui se joue là.
Nous avons achevé de fêter la nouvelle, et l’anniversaire de belle-maman, au bar de l’hôtel.
Aujourd’hui, nous avons vu Lagomar, ce qui m’a ravie car j’avais repéré l’endroit avant de partir, puis le parc volcanique, qui se visite exclusivement en car. L’excursion est aussi extraordinaire que terrifiante : avoir le Dies Irae qui t’explose dans les oreilles au moment où ton chauffeur semble rouler à toute berzingue en direction du gouffre, ça crispe un peu (je précise que c’est la compagnie touristique qui propose une sonorisation pour le moins tonitruante.) Le poulet cuit à la chaleur du volcan était franchement bon.
N’empêche, deux jours que nous sommes ici, et deux jours que je me demande ce qui a bien pu passer par la tête des gens qui se sont installés ici. Il faudra que j’interroge plus avant le Routard à propos de l’histoire de l’île. Il n’a y a pas d’eau ! Vraiment : l’eau des robinets, de l’eau de mer dessalée, n’est pas potable. Même en vivant à l’hôtel, il faut acheter des bouteilles en plastique, et au restaurant, personne ne vous apportera de carafe. L’eau se monnaye partout.
Et puis, quelle solitude on doit ressentir, à vivre sur ce caillou recouvert à quoi ? 70% de roche volcanique ?
Il n’y pousse que du lichen et quelques cactus. L’île est constamment battue par les vents et touts les pieds de vigne sont taillés pour raser le sol et protégés par des murets de pierre noire.
Ce voyage est magnifique à bien des égards, mais je serai soulagée de regagner ma Bretagne. À part si ta seule passion c’est la planche à voile, je ne vois pas ce qui peut retenir quiconque ici.
Mardi 5 mars
Direction la caldera, et un chemin balisé qui mène au cœur d’un cratère. Dépaysement garanti.
Sur le chemin du retour, face aux bourrasques, je me demande si ce n’est pas ici que Damasio a eu l’idée de La Horde du Contrevent.
Nous faisons ensuite un tour à Yaiza, le seul village épargné par l’éruption qui a duré de 1730 à 1736, puis à El Golfo, où nous nous arrêtons pour déjeuner. J’aime beaucoup plus ce côté de l’île, plus coloré : la terre est rouge ou noire et il y a plus de végétation, avec de vrais arbres et pas seulement quelques palmiers. Ubik, Damien et moi nous partageons le poisson du jour et je déroge à mes propres principes pour goûter le riz à l’encre de seiche – à mon grand désespoir, c’est délicieux. Après une petite balade, nous prenons le chemin du retour et nous arrêtons aux Bodegas El Grifo. Ils ont un joli jardin de cactus et nous y achetons deux bouteilles – je n’ai pas goûté, mais Mathias affirme que le vin est délicieux. Nous rentrons trop tard pour la piscine, mais de toute façon je suis indisposée et il fait froid.
Dans le silence de la chambre d’hôtel, je repense à ce client d’Ubik, ostréiculteur, qui ne supporte plus le bruit de la mer et cherche à y échapper dès qu’il le peut.
(wow. J’ai un instant cru que la voisine du dessus se faisait assassiner, mais a priori elle a juste des orgasmes mythologiques.)
Je disais. Le bruit de la mer. Je crois que je comprends. C’est immense, profond, incessant. Ici en plus, le vent ne se tait jamais non plus. Il épouse la houle, ils se jettent ensemble sur les roches noires qu’ils repeignent d’écume. Encore, toujours. À l’horizon, rien. Et quand on ferme la fenêtre, reste un mugissement sourd qui convoque le souvenir d’une crète blanche jusqu’à la lisière des rêves. Qui sait, il y a peut-être d’infimes fragments de ma mère dans cette eau-là.
*
Le dernier jour, je crois qu’on était tous fatigués, tout le monde s’est réparti en couples, qui à la piscine, qui en promenade. Ubik et moi avons fait du shopping en mode touristes, et c’était parfait. Je me suis acheté une robe et trois pantalons très larges en tissu léger, et Ubik un pantalon en lin et une chemise avec des motifs d’éléphant (ni Maloriel ni Mouktouk n’y croiront quand ils le verront !)
L’après-midi, nous avons visité l’aquarium. C’était plutôt triste. Je suis rentrée avant les autres, habitée par mon mal de terre.
Le soir, on a bu la dernière bouteille de cava. Je suis également partie trop tôt pendant le dîner, n’en pouvant plus. Ça m’a donné l’occasion de voir deux supers émissions sur la BBC, une qui explorait les Cornouailles sur les traces de Dickens, et une télé-réalité dans laquelle des aspirants comédiens doivent rejouer des scènes de séries hyper-connues, avec un contrat à la clef. J’ai été très impressionnée par leurs prestations, même ratées.
Lendemains en vrac : attente interminable à l’aéroport de Lanzarote. L’avion est en retard, nous ne savons pas encore que c’est à cause d’une grève des aiguilleurs du ciel. Tout ce que je peux te dire, c’est que j’ai trouvé l’endroit terriblement oppressant. Il n’y a de place nulle-part, les files d’embarquement s’amassent au milieu d’un terminal étroit, bloquant la circulation, il n’y a pas assez de place pour s’assoir, et sans un peu d’aide chimique je n’aurais jamais réussi à tenir.
Du coup, nous avons raté notre correspondance à Barcelone, et la compagnie nous a payé un hôtel en centre-ville, où Ubik et moi avons notamment discuté avec des Munichois égarés comme nous – j’aime beaucoup ces atmosphères étranges, comme entre deux vies. Dommage qu’on y soit arrivés si tard ! D’après Sophie, on était à dix minutes de la Sagrada Familia. Malheureusement, en dépit d’un vol vers 12h30, la navette affrétée exprès venait nous prendre à 8h. Donc nous avons passé quatre heures à l’aéroport de Barcelone, mais lui était exceptionnellement agréable et silencieux, avec une esplanade intérieure incroyable où fumer des clopes (et j’ai mangé des nuggets vegan vraiment pas mal.)
Arrivés à Paris, c’est complètement la panique : plus de bagages, le temps de remplir les papiers, Ubik, ses parents et moi sommes limites pour chopper un taxi et nous rendre à Montparnasse (billets payés deux fois évidemment, on devait rentrer la veille), le taxi (super sympa) traverse la capitale en mode Emily in Paris, on ne voit que des trucs sublimes, Invalides, Champs Elysées et tout le toutim, et évidemment on arrive à la gare avec 20 minutes d’avance – c’est pas ouf non plus hein, c’est grand, Montpar. Mes règles se déclenchent pile à ce moment, j’ai foutu en l’air un jean et belle-maman a dû me filer un sac plastique pour ne pas inonder le siège du TGV : bonheur.
34 heures après avoir quitté l’hôtel, Ubik et moi franchissons le seuil de notre maison, après un dernier trajet en voiture Rennes-Guingamp.
*
Choses que je n’ai pas écrites au fur et à mesure : les bijoux en pierre volcanique dont j’ai acheté une poignée après m’être extasiée comme un cliché de parisienne parce que c’était pas cher (je prie pour qu’il n’y ait eu aucun francophone présent dans la boutique à ce moment-là.) La brasserie Jack Daniels tenue par des Anglais, la dame qui nous a servis était charmante et les plats trop bons. Les instagrammeuses à moitié à poil à El Grifo. Les télé-réalités allemandes. Le baume à l’aloe vera, magique, tout simplement, je te ferai tester. Les serviettes-éponges méga confortables fournies par l’hôtel pour la piscine. Le couple qui s’est engueulé au bar, et celui trop bizarre en terrasse – c’était une escort, c’est pas possible autrement. La cartouche de clopes à trente euros. Le bain à remous beaucoup trop bruyant. Les serveurs qui à partir du troisième jour ne nous demandaient même plus si on voulait « the same bottle as yesterday » avec l’accent espagnol et ramenaient tout sourires le vin rosé local que nous avions adopté. Le gâteau d’anniversaire inattendu commandé par Nadia en même temps que ses repas vegan, excellent. L’hôtel qui était « adults only » (sur le moment on a tous intérieurement eu comme un léger doute sur ce qui s’y passait !)
6 commentaires
Tu es très belle, et j’adore ton sweat ^^
Merci !! (insérer ici un émoji rougissant, je n’en trouve pas ;))
Je n’avais absolument jamais entendu parler de Lanzarote avant que tu m’évoques ce voyage, et ça m’a l’air d’une destination incroyable et pas très loin pour passer quelques jours dépaysants en amoureux ! Je me garde ça dans un coin de tête !
Tu me rappelles aussi que j’adore lire les impressions personnelles de compte-rendus de voyages bien plus qu’une description des endroits en mode guide touristique. Ca me rassure un peu sur les pavés que je ponds à l’issue de chacune de mes vadrouilles.
En notes qui m’ont fait sourire :
– La machine à café dans la chambre est, je crois, mon plus grand plaisir d’hôtel. C’est un plaisir monumental de m’accorder un expresso dans le lit le matin au réveil, c’est vraiment devenu un truc synonyme de vacances dans ma tête
– Les hôtels « adult only » sont avant tout labélisés ainsi pour garantir à leurs résidents un semblant de calme, surtout lorsqu’ils disposent d’aires de piscine et/ou de repos (ce qui n’empêche pas les cris, comme ton séjour l’a confirmé ^^) – en général ce sont quand même des endroits bien plus tranquilles quand tu n’as pas d’enfants, et souvent avec des aménagements un peu plus orientés pour les adultes.
J’ai bien compris ce que signifiait le label et en ce qui concerne Ubik et moi, il était fait pour nous plaire :P Mais c’est vrai qu’il est rigolo (et puis j’ai des parents parmi mes lecteurs, je n’ose pas toujours affirmer combien ça me plaît de fréquenter des endroits sans enfants :D)
Je suis contente si ce billet t’a plu, je me rends compte qu’il est avare en commentaires, finalement. J’aurais pu développer un peu sur César Manrique par exemple, mais comme j’écrivais au jour le jour, d’abord pour moi, je n’avais pas envie de revenir sur ce que je savais déjà, et quand j’ai finalisé la version blog je me suis aperçue que j’avais une flemme monumentale d’en faire plus ^^
Waouh sacré dépaysement ! et merci pour le voyage ! 😍 j’espère que cette pause t’a fait du bien et moi aussi, j’adore ton sweat ^^
Ahah, merci !