L’échappée belle
D’habitude, les vacances durent quinze jours. Cette année, celles de la zone B se seront prolongées une semaine de plus. Du moins, celles des cinquièmes B et C d’un collège guingampais.
Rentrer un lundi 6 pour repartir un mardi 7 au soir, c’était une drôle de surprise du calendrier, dont nos deux classes et nous-mêmes avons bénéficié plus que quiconque, puisque nous en avons profité pour nous éclipser à Guerlédan.
Nous avons pris pour y aller une route qui m’était inconnue et qui m’a semblé étrange, puisque nous sommes passés par Bourbriac, Lanrivain et Gouarec, plutôt que par Corlay. Cela s’explique par le fait que pour des gosses malades dans les transports, les lacets de la route de Corlay peuvent s’avérer fatals – et tu ne VEUX PAS d’une épidémie de vomis dans un car scolaire, rien que de l’écrire me donne des frissons.
Partis à 7h30, nous arrivons environ une heure plus tard et prenons possession des chambres. C’est très vieillot (à mon avis la base de loisirs date des 70’s), et ma collègue et moi nous partageons une « chambre » qui tient plus du placard à balais, avec des lits superposés.
Tandis que la 5C repart aussitôt pour se rendre à l’abbaye du Bon-Repos, nous nous préparons pour les activités du matin : tir à l’arc et VTT, au choix. J’accompagne évidemment les tireurs, le jour n’est pas venu où tu me verras pédaler dans la boue sur une selle de vélo surélevée. Il fait froid, il pleuviote, mais c’est merveilleux d’être là, dans le silence qui enveloppe les cris des gosses.
En passant voir comment se débrouille le groupe 2, je me vois remettre un arc, parce qu’elles sont sept et que c’est pas pratique pour les jeux prévus. Je fais équipe avec Julianna. Entre deux tirs ratés (la technique s’apprend vite, mais viser est bien plus difficile qu’il n’y paraît), les filles me racontent les potins de la classe et expliquent au mono étonné que c’est normal, je suis la prof « la plus proche de leur génération ». Je suis aussi flattée qu’écroulée de rire :D
Je suis contente, parce qu’après tout le ridicule c’est dans la tête, et qu’à mon âge il était temps d’oser me lancer dans une activité sportive devant témoins, et de me rendre compte que j’étais pas « nulle ». Pas douée, c’est sûr, mais après tout pas pire que d’autres. Je ne sais pas si j’ai choisi judicieusement un arc pour gaucher. Je suis droitière, quand il s’agit d’écrire ou d’utiliser un couteau, mais pour beaucoup de choses je suis plus à l’aise de la main gauche, et je me souviens avoir été très perturbée d’apprendre la guitare sur un instrument pour droitier. En tout cas, l’expérience m’a plu, Ubik avait raison de m’encourager en me disant que le tir à l’arc me conviendrait sûrement par son côté apaisant.
Après déjeuner, nous partons pour l’accrobranche. Enfin, presque toute la 5B part pour l’accrobranche, et moi je négocie avec Lilian. Lilian est autiste, et je sais combien ça lui a déjà coûté d’être là. J’entends souvent dire qu’il sait très bien jouer avec son diagnostic pour nous soutirer des faveurs. C’est pas tout à fait faux, sans doute, mais ça me fout en boule. Parce que c’est normal de chercher des échappatoires, des béquilles, n’importe quoi, quand on t’a demandé toute la journée de t’adapter et de comprendre, a fortiori quand t’as douze ans. Lilian, l’année dernière, il serait jamais allé nulle-part. Lilian, en début d’année, il finissait ses journées en pleurs. Son AESH a fait avec lui un boulot de ouf. Et lui, il a fait l’autre partie, et aujourd’hui il est là. Il gère le fait de pas savoir quand on va commencer l’activité, il gère le fait qu’on ne nous fasse pas entrer au réfectoire à l’heure, et il gère le raffut que font ses camarades. Alors cet après-midi, il a mal au dos. Tellement qu’il est assis là sur son lit, comme une vieillard, et qu’il n’arrive pas à se lever. Il est mignon tout plein, il m’explique que ça l’agace (je n’en crois pas un mot) et qu’il ne sait pas pourquoi, bon dieu, ça arrive maintenant. Un poil de stress, peut-être ? Oui, c’est possible madame. Je reviens dans dix minutes, le temps que ton antalgique fasse effet, d’accord ? On verra à ce moment-là. Lilian a donc fini par se lever en s’appuyant de tout son poids sur le dossier d’une chaise, on a grimpé des côtes à se damner (j’ai fumé des clopes, moi, ce lundi, et je les sens bien stagner au creux de mes poumons) et on est arrivés sur le site, où il a fallu que je lui dégote un banc pas trop bas parce qu’en plus il a les genoux d’un octogénaire.
On a passé l’après-midi là, à discuter. C’était marrant. Lilian n’aime pas les silences. De mon côté, élèves et collègues voulaient que je dépasse mon vertige, parce que eux le faisaient bien. J’ai répondu qu’on verrait quand j’aurais plus le vertige en restant sur le plancher des vaches, pour commencer. Ça m’aurait plu d’essayer. Mais pas maintenant.
Le soir s’est éternisé. On ne voulait pas que les gosses rejoignent leurs chambres trop rapidement, on voulait s’assurer de bien les crever avant, alors on les a « forcés » à jouer au loup-garou ou au ballon jusqu’à 21h30. Lilian et moi nous sommes éclipsés au bord du lac. J’ai essayé de lui donner des astuces pour gérer son temps et s’octroyer les poches de solitude dont il a besoin. Je sais pas ce que ça donnera. C’était chouette.
Ma collègue et moi dormions dans le quartier des garçons. C’est donc avec joie que je l’ai laissée prendre les choses en main, en tant que pilier du bahut, prof principale et habituée du lieu. Oui, on est en 2024 et il faut toujours dire aux mecs de ne pas pisser sur la lunette et d’arrêter les concours de pets. Enfin, à certains d’entre eux, mais jamais tu devras demander un truc pareil à des filles, ça ne leur viendrait même pas à l’idée. Ceci dit, c’était marrant, Lyllian ne sait pas chuchoter et sa chambre était collée à la nôtre : je sais tout de ses histoires de cœur.
Aujourd’hui, c’était à notre tour de nous rendre à l’abbaye du Bon-Repos. Nous avons commencé par la visite, que j’ai trouvé intéressante et parfaitement adaptée à nos gamins. Comme d’habitude, ils ont fait ma fierté en donnant tort aux réac’s. Après quoi, il y a eu une petite pause, et j’ai emmené Lilian à la librairie pour lui montrer les dessins de Sandrine Gestin. Ensuite, atelier : les élèves ont créé de l’encre comme au Moyen Âge, à base de noix de galle, sulfate de fer et gomme arabique.
Nous avons déjeuné – le pique-nique était apporté par le directeur du centre de loisir, c’était très bon et en plus il commençait à faire vraiment beau, donc on était dehors.
L’après-midi, les gamins ont fait un jeu de piste. Il fallait se repérer sur la carte pour trouver les énigmes, y répondre et au final assembler tout ça pour former le code qui ouvrirait le coffre au trésor (un paquet de chamallows. C’est VRAIMENT un trésor pour des gosses de cet âge-là, crois-le ou pas.) C’était trop bien, ils ont couru dans tous les sens, ma collègue avait rejoint une équipe, et moi je suis restée allongée sur un banc, à fumer des clopes, textoter avec Eliness et regarder le ciel, en encourageant ou charriant les mômes qui passaient dans les parages.
Après ça, il y a eu deux nouveaux jeux. Je rentre pas dans les détails, pas sûre que ça t’intéresse. Je dirai juste que d’un point de vue pédagogique, ils m’ont paru très bien, et que je regrette vraiment de pas pouvoir partager avec toi les photos que j’ai prises, les gosses se sont surpassés – et Lilian a rejoint ses camarades avec force levages d’yeux au ciel, après que je lui ai dit qu’il était plus ronchon qu’endolori.
Il restait une heure à tuer, que les enfants ont occupée à jouer au foot pour la plupart. Quand il a fallu rejoindre le car, tout le monde s’est précipité – ça court partout à cet âge, plus c’est fatigué plus ça court – mais Mewan – MEWAN – est resté assis dans l’herbe et faisait pas mine de se lever. J’insiste, parce que Mewan, je l’ai viré de cours au moins trois fois, il est incapable de tenir en place. J’ai demandé à Malone, qui m’a suivie, s’il avait de l’eau. Victoire, restée sur le parapet qui surplombe le pré où ils jouaient, m’a tendu sa gourde pleine. Je te le raconte parce que ces gosses sont supers, c’est tout.
J’ai trouvé le gamin en pleurs. Ça tournait sa race autour de lui. Il crevait de trouille. Je vais pas t’expliquer que j’ai été incroyable dans ma gestion d’un gros coup de chaud et d’une déshydratation conséquente. Ce que je voudrais te dire, ME dire, c’est que c’est la première fois de ma vie que c’est moi qui gère ce genre de truc, et que j’ai su quoi faire. Et quand il s’est finalement remis debout, Mewan m’a remerciée.
Une heure plus tard, les gosses savaient ce que je lui avais raconté et qui l’avait fait rire, et les 5C qui ne me connaissent pas m’adressaient la parole pour la première fois, rigolards mais respectueux. Mewan m’a redit merci à la sortie du car.
Tu vois, c’était encore plein de premières fois, ce court séjour. C’est une des choses que je trouve le plus gratifiantes dans mon taf.
Et pas une seule fois, je ne me suis demandé si j’allais « survivre » à mes vertiges : je n’en ai pas eus.
Dernière chose : ma collègue, dont je me suis demandé sur le(s) moment(s) si elle saisissait bien les enjeux et pourquoi elle se carapatait… elle m’a fait confiance, en fait. Quand je te dis que c’est la première fois de ma vie que je gère, ça ne pourrait pas être plus vrai, et je peine à le réaliser.
8 commentaires
C’était chouette de lire le contexte qui entourait davantage la photo que tu m’avais envoyée ! Et je reconnais bien là l’impression sonnée de réaliser qu’on est capable, en fait. Ça fait du bien. Tu assures, autant envers ces gamins qu’envers toi-même :)
Merci !! <3 :)
Ça avait l’air bien cette sortie, content que tu aies gérée !
Je ne connais pas ce coin, ça a l’air très joli. La route par chez moi pour rentrer dans le finistère m’a fait passer par Corlay et le kreiz breizh alors je commence tout juste à découvrir un peu le centre Bretagne que je méconnais.
Trop contente de te voir par ici !!
J’espère que la route t’a plu ! La route entre Guingamp et Corlay est superbe, mais je ne connais pas le coin par lequel tu as dû arriver. Tu as dû bifurquer, aussi, vers Rostrennen ou Carhaix, je suppose ?
Math et moi avons passé un weekend près de chez toi, je crois, à Fouesnant. C’était magnifique, je ne me souvenais pas que le Finistère sud était aussi vallonné et arboré !
Je lis toujours ton blog, mais je ne commente plus c’est vrai :)
Yep, je passe par Rostrennen.
Fouesnant est en effet pas loin de min coin, c’était là où on allait à la plage quand on était petit !
Le Finistère sud est bien vallonné, en dehors du pays bigouden, mais pas aussi vert que les Cotes d’Armor pour le coup je trouve. Mais c’est magnifique, c’est plein de petites criques et petites plages cachées.
Je posterai des photos, j’ai vraiment adoré !
Une réussite donc !! félicitations ! quel sentiment agréable de se dépasser sur un truc et qu’on se rend compte, qu’en fait, ça va, on gère :-) il faut absolument plus de moments comme ça et je t’en souhaite pleins d’autres pour le futur :-)
p.s : j’ai (enfin) répondu à ton mail !
p.s : j’ai (enfin) répondu à ton mail !
J’ai vu ! :) Dès que ça se tasse un peu au boulot, je m’attelle à cette lettre !!
je t’en souhaite pleins d’autres pour le futur :-)
Merci <3