Lendemains
Pensées décousues.
Une chouette conversation avec mes deux exclus de cours. Enfin, c’est ce que je crois. Dans ma tête, mes discours ont l’air sortis du Cercle des Poètes Disparus, mais je doute que ça leur fasse le même effet. Toujours est-il qu’on s’est entendu – je crois pouvoir l’affirmer parce qu’ils étaient d’une part d’accord pour discuter, et que d’autre part nous nous sommes quittés en bons termes, ce qui n’avait rien d’obligatoire ni d’évident.
Avec LN, tout va vite, et fort. Après un an et demi à se tourner autour, espérant peut-être que, n’osant pas, de peur de n’aboutir à rien, ça aussi, semble entériné.
Chouette conversation également, téléphonique, avec Eli. Je cherche encore, le ton, la fluidité, mais ça n’est imputable qu’à moi : j’ai été très heureuse de constater, en raccrochant, que nous avions passé une heure à parler. Je la – je te – remercie. Tu savais relancer quand je m’enlisais. C’est pas évident de passer du virtuel au « réel » (je mets des guillemets parce qu’il me semble désormais évident qu’on ne transmet pas la même chose de soi en fonction de qui est en face, ce qui fait que tout échange avec autrui/l’extérieur contient forcément une part de virtualité, je crois.) Quoi qu’il en soit, une heure, dans ce contexte, c’était autant de temps passé à tenter de construire quelque chose à partir de reflets fragmentés par l’absence de quotidien, et c’est bien plus difficile que dans le quotidien, justement.
Sur le calendrier punaisé en face de moi, six mois ça fait que dalle. Faut regarder les cascades de croix pour se souvenir que chacune d’entre elles marque un jour. Chaque croix n’est certainement pas un souhait que le lendemain advienne. C’est un jour vécu, un jour qui mérite que je m’en rappelle (d’ailleurs je continue de les cocher en retard).
Chaque croix, chaque coup de fluo, est une tentative de maîtriser le quotidien. Mon calendrier, si moche soit-il, ne cesse de me reconnecter à maintenant. Le passé ressemble à un flot furieux qui coule vers l’aval à toute vitesse, mais le futur, lui, prend son temps, c’est ce dont je me rends compte maintenant que je peux visualiser ce qui, empiriquement, m’échappe tout à fait.
Mardi dernier, Mélina est venue, seule, en aide aux devoirs. On a corrigé trois questions de son brevet blanc, et puis un barrage a cédé. Et elle s’est mise à parler, parler, de sa manière unique, couturée de tutoiements impromptus, de grossièretés échappées et de sauts du coq à l’âne pour revenir ensuite au même sujet, comme si elle n’arrivait pas à déterminer si c’était important, ou qu’au contraire ça l’était trop. Tout. Mais surtout un truc. J’ai partagé des bribes d’expérience en retour, pour qu’elle comprenne que je savais de quoi elle parlait, et lui ai proposé une idée. À la fin, je lui ai demandé si elle voulait mon adresse mail. Et elle, nature-peinture : « euh, non. Mais je veux bien votre numéro de téléphone. » :D Je le lui ai donné, dans l’état actuel des choses je veux qu’elle se souvienne qu’il y a quelqu’un dehors en qui elle a confiance.
Il est 19h37, et j’ai dit à Spotify de me jouer son « mix mélancolique ». Et je retourne vingt ans en arrière, quand j’autorisais la musique à me transpercer de part en part. J’ai appris à m’en protéger. J’ai barricadé. Laissé passé quelques gouttes salvatrices, mais pas les tempêtes, oh non, celles-là me laissent déjà recroquevillée sur un plancher nu. Comment vivre, alors ?
22h27. Je retourne sur École Directe pour checker mes mails, ce que je ne ferais jamais en temps normal, vu l’heure, mais ce soir j’attends de voir si Nathan m’a répondu. Il n’est pas venu en cours depuis quinze jours, sa mère a appelé sa prof principale pour demander de l’aide puis a disparu des radars, et ladite prof principale m’a demandé si j’avais des infos, puisque Nathan vient régulièrement en AP, et me parle. J’ai écrit à la mère pour lui demander l’autorisation de contacter son fils. J’ai écrit au fils en lui disant que je m’inquiétais de ses absences et que j’aimerais en discuter s’il était d’accord. En AP, par exemple ? Ce soir, Nathan m’a répondu que « ça pourrait être bien ». Et qu’il viendrait mardi. J’ai pas intérêt à me rater, putain.
(et je vais devoir me barrer en plein milieu de la visio d’harmonisation pour la correction de l’EAF, que j’avais complètement omise de mon plan)
C’est peut-être ça. Vieillir, s’enraciner. Gagner en cernes et en profondeur, suffisamment pour accueillir les tempêtes des autres. Non, c’est pas ça, très mauvaise image. Ce sont les autres qu’on s’efforce d’accueillir, pour leur offrir un abri. Vieillir c’est peut-être juste ça alors : grandir assez pour avoir de la place pour d’autres que soi, à l’intérieur de soi. J’espère y arriver.
6 commentaires
J’aime beaucoup ta dernière phrase. De mon côté, j’ai parfois l’impression d’avoir trop d’autres en moi et pas assez de moi en moi… ça peut sembler confus mais enfin je me comprends. En ce moment, je me sens lessivée de penser toujours aux autres. Je voudrais écrire dessus mais je n’arrive pas à faire sortir ce qui doit l’être.
Je comprends tout à fait ce que tu veux dire. Aussi bête que ça paraisse, je crois qu’il te faudra, à un moment, prendre la décision consciente de ne plus te laisser bouffer. Plus simple à dire qu’à faire, évidemment… Il faut que tu trouves et poses tes propres limites, la méditation en pleine conscience pourrait t’y aider (je crois me souvenir que tu n’es pas fan, malheureusement je ne connais pas d’autre méthode ^^) Ça me semble très important pour deux raisons : pour préserver ta propre santé mentale, et parce que tu as besoin d’être toi-même solide si tu estimes que d’autres ont besoin de ton soutien.
Oui je suis en train de travailler dessus avec ma psy mais ma personnalité me pose des problèmes ^^
Pour la méditation, ce n’est pas que je ne suis pas fan, c’est que je ne sais pas comment m’y prendre, quand j’ai eu envie d’essayer, ça m’a donné envie de dormir parce que j’étais souvent fatiguée à ces moments-là, et je n’arrive pas trop non plus à me dégager du temps pour cela, pour le faire dans de bonnes conditions.
Je me dis que si la méditation t’a donné envie de dormir, c’est qu’elle t’a permis de contenir les pensées négatives, du coup, ça me semble plutôt une expérience réussie ;P
Ce n’est effectivement pas facile de trouver les « bonnes » conditions (même si théoriquement, il n’y en a pas vraiment, c’est même une partie de l’intérêt.) Pour ma part, si je ne peux pas caser dix minutes en journée, je lance l’appli le soir une fois couchée.
Mais le principal c’est que tu trouves des trucs qui fonctionnent pour toi, et il y a plein d’autres pratiques à tester je suppose : écrire un journal, faire du sport, s’autoriser des moments rien qu’à soi…
Prends soin de toi, tu le mérites !!
Hihi, en raccrochant je me suis demandée si tu n’avais pas trouvé ça trop pénible que je saute d’un sujet à l’autre en te posant plein de questions sans aucun rapport. Les moments de flottement dans une conversation me dérangent rarement, ça me permet de prendre du recul et de me remémorer d’autres sujets que je voulais aborder. Contente de continuer l’expérience de construction, et merci de m’accorder cette place-là :)
(et je souris de découvrir ton petit autel sous-écran – le mien est un panneau au-dessus de l’écran où j’accroche foultitude de trucs)
« en raccrochant je me suis demandée si tu n’avais pas trouvé ça trop pénible que je saute d’un sujet à l’autre »
Non, j’ai bien aimé, à moi aussi ça m’a laissé le temps du recul pour voir ce que faisaient naître tes questions :P
« merci de m’accorder cette place-là :) »
Bah, de rien, ça me fait très plaisir, et j’espère que cela renforcera des liens qui me semblent indéniables, si j’en crois le temps depuis lequel nous nous suivons et échangeons !