Miscellanées de juillet
Une histoire de neurasthénie et de renaissance
Je préférerais mentir, plutôt que d’avouer à quel point j’ai perdu mon temps. Après tout, c’est là le pouvoir merveilleux que détiennent les littérateurs (j’emprunte le terme à Michel Leiris : « est littérateur quiconque aime penser une plume à la main. ») Je peux, après coup, agencer les faits à ma convenance, de manière à rendre cohérente une succession qui doit tout au hasard. Mieux, je peux donner du sens, et accorder à cette traversée du désert une fonction symbolique, initiatique, même. Et c’est exactement ce que je m’apprête à faire, trop heureuse de sortir enfin du bourbier et trop fière pour admettre que j’ai lâché la barre.
Au début du mois, peu enthousiaste mais néanmoins déterminée (aiguillonnée par une espèce de fatalisme, en fait), j’ai claqué beaucoup d’argent en histoires de la littérature, initiations à la stylistique et autres cours d’ancien français. Je n’ai pas envisagé une seule fois parvenir à accomplir l’objectif final : obtenir le concours externe. Cependant, blasée mais pas idiote, je me suis dit que ces lectures me seraient utiles.
Le 8, alors que je peinais à maintenir mon équilibre dans une posture de yoga pourtant simple, j’ai reçu un coup de fil. Contre toute attente, j’aurai bien un emploi à la rentrée. Je ne crois pas avoir déplié mon tapis de sport depuis. Ah si, une fois, pour une session « spéciale mal de dos. » Après… C’est là qu’il faut le secours des mots, pour remplir le vide.
J’ai fait face à un blocage. Un des pires que j’ai eus à braver, suis-je tentée de dire, mais je crois me souvenir que juillet, l’année dernière, ne fut pas fameux non plus. Je voulais écrire, évidemment, ainsi que préparer des cours, profiter de mes vacances, me ressourcer dans la chaleur de l’été, cuisiner, lire tous ces bouquins qui s’empilent sur la table basse… Et… rien. Le néant. Trois semaines à errer dans la maison, à m’inventer une vie dans Skyrim qui même elle, finit par me lasser, à picoler comme un trou le soir, à dormir longtemps et plusieurs fois par jour pour compenser, pour finir par reporter ma frustration dans Civilization, où à force de persévérance, j’ai fini par remporter d’écrasantes victoires avec Cléopâtre et Gilgamesh.
Tu parles d’une manière de réécrire avantageusement les faits ! Allez, on rembobine.
Ce mois de juillet me semble placé sous le signe d’une totale et étonnante mésestime de moi. Étonnante parce que je n’ai rien affronté que je ne connaisse – et maîtrise – déjà. En réalité, j’ai lu, bien que j’aie reporté la prise de notes à plus tard (tout en sachant que c’était parfaitement con.) J’ai renoué avec le plaisir d’apprendre, mais j’ai dans le même temps éprouvé une panique similaire à celle qui m’étreignait lorsque je rédigeais mon mémoire. Je n’ai cessé de penser que je ne savais plus faire : prendre des notes, réaliser des fiches et même apprendre par cœur. J’ai confectionné un beau document sur les voyelles en latin classique et vulgaire, que j’ai rangé dans un dossier intitulé « révisions capes » et que je n’ai jamais complété. J’ai lu le premier tiers du tome 1 de mon Histoire de la littérature, consacré au Moyen-Âge. C’était très intéressant et très touffu, et j’ai une idée relativement claire de ce que je devrais en retenir, sans m’être pour autant attelée à le résumer. J’ai pris plaisir à consulter mon manuel de stylistique, matière que j’ai toujours adorée, en dépit des profs de fac qui m’ont conduite à sécher allègrement les cours.
J’ai également lu les Contes de Perrault, en vers et en prose. Très courts mais assortis de notices parfois interminables, quoiqu’éclairantes. Aragon, avec Le paysan de Paris, m’a arraché quelques sourires, parfois franchement émerveillés, et beaucoup de bâillements. J’en ai extrait quelques citations, soit qu’elles m’inspirassent, soit qu’elles me parussent idéales à caser dans une dissertation (mon dieu que c’est BEAU, la concordance des temps) et j’envisage de réaliser une carte heuristique, dont j’ai déjà les prémices.
Il y a eu, aussi, de chouettes moments du quotidien : des sorties matinales à la plage sous un ciel d’un bleu profond, les rendez-vous hebdomadaires au marché (je dispose désormais d’un charriot de vieille et, comme une vieille, je ne jure que par mon boucher et je n’aime pas les collègues qui le remplacent ponctuellement), la joie de découvrir toutes les essences qui poussent dans mon jardin en friche et me surprennent de leurs éclosions inattendues. En plus, les plans de tomate s’épanouissent, le cresson devient envahissant, thym et romarin sont à la fête, et les prunes commencent à rougir.
J’ai vu quelques films : The Dark and the wicked, que j’ai adoré, Sator, que j’ai aussi aimé et que je me suis promis de revoir pour en saisir toutes les subtilités, Jumanji (celui de 2017, deux fois, c’est génial), Le Dernier des Mohicans parce qu’il est sorti sur Netflix et que ça faisait vraiment très longtemps que je ne l’avais pas regardé, et enfin Caveat qui m’a beaucoup plu malgré un scénario fort mince.
Juillet, sans doute parce que c’est le mois de mon anniversaire, semble m’obliger à un deuil que mes activités occultent, d’habitude. Le temps passe et chaque année me met en face de mes regrets. Il me faut admettre que je ne serai jamais romancière. J’ai bu pour oublier que je n’avais rien à écrire. Évidemment, ça n’a fait qu’envenimer le problème. Alors j’ai bu pour oublier combien je me méprisais.
J’ai arrêté. Je me limite à trois bières par soir, et n’ai pas envie de plus. Je dors infiniment mieux et me lève entre 8 et 9 heures. J’ai commencé à préparer mes cours pour la rentrée et repris mes lectures matinales. Ubik m’apprend ses techniques de cuisine. Je m’habille, pour de vrai, avec des jeans et pas des gargouilloux (pour Internet, le mot désigne un plat. Chez moi, c’est un pantalon d’intérieur – un jogging, quoi :P) Je me suis même remise à écouter la radio quand je prends la voiture, et pas seulement Océane pour entendre des chansons des années 80. Je me suis appliquée à copier dans ma tête les dictées de France Culture. Elles sont moins évidentes qu’il n’y paraît ! Cet après-midi, il y avait une intéressante rediffusion de Grand bien vous fasse sur Inter. J’adore écouter des linguistes : ils sont bien plus enthousiastes et enrichissants que les académiciens…
Puis ce matin, je suis allée quérir dans ma bibliothèque L’âge d’homme de Michel Leiris, que je ne boudais pas par manque de conviction, au contraire. J’en ai marre de m’efforcer à lire des trucs qui ne m’intéressent pas, tout ça parce que je devrais. Je me suis dit : « et pourquoi pas approfondir les sujets qui me passionnent, plutôt ? » Pourquoi pas, en effet ? Pour combler les lacunes de ma culture littéraire ? C’est bien beau, mais c’est en raisonnant ainsi, comme si étudier devait être une corvée, que je suis passée à côté des œuvres qui m’attiraient. En dehors des œuvres fantastiques, ce sont toutes les formes de l’autobiographie qui m’émeuvent et me parlent le plus. Ce n’est pourtant pas un domaine que je maîtrise plus que les autres, parce que… bah parce que je préfère apparemment explorer des ouvrages qui ne me plaisent pas, pour faire plaisir aux Universitaires Pédants et surtout Totalement Imaginaires qui siègent dans ma tête.
Finalement, en écriture, c’est pareil. Je n’écris jamais mieux que lorsque je parle de moi. Eh bien soit. Parlons de moi. Pour de vrai. Oublions les Joël Champetier et leur condescendance. Oublions aussi les King, les Erin Morgenstern et tous les auteurs qui me font me sentir plus bas que terre. Si je veux écrire, je dois faire table rase. Éteindre toutes les voix dans ma tête, pour n’en écouter plus qu’une seule. La mienne, celle de Nath-Kalys-Marlene, qui se raconte des histoires depuis toujours sans se soucier des ratures.
J’ai beaucoup discuté de mon (de notre) alcoolisme avec Maloriel. Elle et Ubik sont les seuls avec qui j’accepte de le faire, parce qu’ils partagent cette addiction, pour des raisons et à des degrés divers. En ce sens, je comprends parfaitement les gens qui rejoignent des groupes de parole composés de personnes qui traversent des épreuves similaires aux leurs. Les rares autres auprès de qui je me sois ouverte ne comprennent tout simplement pas et y vont de leur petite analyse : « si j’étais toi, je me demanderai pourquoi ça me semble nécessaire. » « Est-ce que tu ne fuirais pas quelque chose ? » « Ce n’est pas sain. » Ad lib. Autant de phrases que je me suis déjà dites, de questions que je me suis déjà posées. En fait, les gens croient que quand tu te fais du mal, c’est parce que t’es con.
Savoir pourquoi je bois ne résout pas le problème. Ce qui contribue à le faire, en revanche, ce sont les expériences de ceux qui connaissent les mêmes affres et ont trouvé des parades. On ne guérit pas un trauma, ni une addiction, en se répétant que « c’est pas bien » ou que « c’est juste une façon de voir les choses. » Mes cauchemars, mes angoisses, ce ne sont pas des « façons de voir les choses. » C’est ce sur quoi mon cerveau s’est construit, replié, c’est moi tout simplement. Alors quand Mal’ me dit : « pour ma part, j’ai compris que je puisais ci ou ça dans l’alcool, et j’ai essayé de mettre ça en place pour contrer mes réflexes », ça me parle. Ce sont des bases bien plus solides que la foutue morale de gens qui, pour la plupart, ont bien d’autres tares.
« Est-ce que tu ne fuirais pas quelque chose ? » C’est vraiment une réflexion débile, sans déconner… Évidemment que prendre un psychotrope, quel qu’il soit, est une fuite. Mais ce qui me gêne le plus, c’est le jugement sous-jacent : ce à quoi tu cherches à échapper, tu devrais t’y livrer. Parce si les gens pensaient que t’avais raison de fuir, ils ne feraient pas de réflexion. Or ils n’ont aucune putain d’idée de ce que tu fuis. Ils savent juste que « c’est pas bien. » « Il faut affronter sa peur. » Je ne connais strictement personne qui le fasse.
Le pire étant ces gens qui estiment que tu es malade parce que tu te fais du mal. Quand je vois le nombre d’histoires sordides qui paraissent dans le journal, je me dis que c’est la « normalité » qui est anormale et que les « malades », ce sont les gens qui apparemment n’ont traversé aucune épreuve. Foutus psychopathes, si vous voulez mon avis.
Oui, mon mois de juillet, avec ou sans fioritures, était merdique. Tout ce que je sais, c’est que j’arrive plus souvent qu’avant au point de non-retour et que je ne le franchis pas. En 2003, j’ai allègrement dépassé la frontière et n’ai eu d’autre choix que de bifurquer, trop tard. Dix-huit ans plus tard, je m’arrête devant la borne et retourne piteusement me planquer dans ma tanière. On verra bien si se dessine un jour un autre sentier.
2 commentaires
Je comprends d’autant plus les addictions que j’en suis encore victime… Ce qui m’a le plus aidé, c’est un diagnostic posé, certes, mais aussi une connaissance accrue de les besoins (tranquilité, silence, repos, distractions…) Combler le besoin aide (un peu).
Un bon conseil que j’ai lu (c’était pour le Cappei mais bon) c’était qu’une bonne culture littéraire ou didactique ne se mesure pas aux grands poncifs des œuvres magistrales (qu’il faut un peu connaître, quand même) mais aux chemins de traverses, aux oeuvres moins connues, marginales ou issues d’un autre domaine. Ça enrichit le regard.
Merci :)
Ce genre de commentaire, c’est de l’or. Je te suis reconnaissante d’avoir pris le temps de venir me dire ça !