Miscellanées de juin
« je sais pas si j’ai envie de me tirer une balle ou si c’est incroyablement beau et serein… »
Juin m’a paru très long et tout à fait décousu.
Le pire, c’est les jours de pluie. Dès qu’il se remet à faire beau, je revis.
Hier soir, je me sentais fatiguée et surtout, triste ; je ne savais pas pourquoi. Ce soir je n’ai pas grand doute sur la question : l’ouverture de ce billet, c’est ce titre de Mono qui me l’a inspirée.
Juin, c’était… Je ne sais pas. Une errance.
Les événements servent de points de repère pour la mémoire. D’un point à un autre, il y a du temps passé. De rien à rien, il n’y a qu’un espace vide.
John Steinbeck, À l’est d’Eden
C’est pour ça. C’est sans doute aussi la raison qui m’a poussée à relire tous les billets publiés sur le Carnet depuis le jour de sa création, quand il s’appelait Outside the Box et que je m’apprêtais à partir pour le Québec. J’y ai passé trois soirées. Arrivée au bout, j’ai eu la curieuse impression que, depuis la crise de 2016, je ne faisais que remonter la pente, et qu’elle est haute, putain ! Hier, je notais : « Ou c’est la mort de maman. Cette béance… Même aujourd’hui, j’ai du mal à la circonscrire, alors même que la douleur s’est atténuée, laissant place à une mélancolie qui certes, tourne encore parfois à la tristesse, façon larmes inattendues. »
Et je trouve ça « curieux », parce que… Non, en fait ! Ça va ! Deux heures de Darkflight n’avaient pas dû aider. Mais pourquoi me les suis-je infligées ? Qu’est-ce qui a fait que ce soir-là les digues ont commencé à se fissurer ?
C’est une question con, n’est-ce pas. Les murs s’effritent quand ils sont vieux et/ou mal construits.
En plus, j’avais eu des signes avant-coureurs, j’avais juste choisi de les ignorer. Comme le soir où j’ai écouté « tout » Indochine, depuis La chevauchée des champs de blé et Monte-Christo jusqu’à Un été français.
Un de mes moments préférés ce mois-ci, c’est notre double sortie à la plage. Je cite une phrase que j’ai écrite il y a plusieurs années : « l’eau à Saint Quay n’excède pas les 19°, et en dessous de 17 je ne suis pas capable de rentrer dedans. »
C’était tellement revigorant, et apaisant, putain. L’impression de s’habiter tout entière. Et la communion forcée avec la mer. Tu peux pas te crisper, tu peux pas reculer – ça sert à rien, à moins de ne juste pas mettre les pieds dans l’eau.
Juin, c’était, pour la huitième fois consécutive, une fin de suppléance. Je ne retournerai pas à Notre-Dame l’an prochain. Y’a plus de postes vacants. Y’en a plus nulle-part, si j’en crois mon directeur. Drôle d’épilogue, en ces temps d’épidémie. J’ai réussi à faire un goûter clandestin avec mes 3e. Ce matin, j’étais la seule prof à se mêler aux élèves. Je suis restée discuter avec eux jusqu’à ce que sonne l’entrée en salle d’exam. De nouveaux visages à ajouter aux anciens qui peuplent déjà ma mémoire.
C’était galère, cette année. Les BTS et les secondes, comme prévu, m’ont donné du fil à retordre. Je ne suis pas du tout satisfaite de ce que j’ai proposé en seconde. J’ai pas aimé le programme et n’ai pas su me l’approprier. Marie et Erwan se sont attardés, lors du dernier cours. Tout le monde était parti, sans désinfecter sa table, bien sûr. Ces deux-là traînaient même après avoir dit au revoir. Ça m’a fait d’autant plus plaisir que Marie ne m’a jamais épargnée. Elle est maligne, cette gosse. Elle n’a jamais laissé passer une incohérence. Dans son devoir sur la liberté d’expression, elle a fait une plaisanterie affreuse à propos du p’tit Grégory. Elle a écrit : « on peut rire de tout, mais certainement pas avec tout le monde. Une blague sur Grégory, adressée à ses parents, tomberait certainement à l’eau. » Elle m’en a informée avant de me rendre sa copie, en mode « hum, j’ai fait de l’humour noir… je sais pas si je pouvais ? Ça m’a semblé approprié, vu le sujet. » Elle souriait largement, et je savais qu’elle se souvenait de la fois où j’avais dit, dans un lapsus aussi hilarant (de mon point de vue) que déplacé : « Prenez les attentats. On peut faire des blagues sur les attentats. Ça permet de faire tomber la pression, de faire un pas de côté. Mais je parie que si des victimes du Bataclan étaient dans la salle, ça les ferait pas mourir de rire. » Hum.
Les BTS, quant à eux, m’ont fait réaliser à quel point je m’en sortais mieux, en définitive, avec les élèves « pas scolaires. » Ils étaient quasiment tous issus de lycées pro. Lorsque je leur ai demandé de me faire un bilan de l’année, ils m’ont répondu : « rien à changer, c’était top. On a adoré parce que les activités étaient variées et que vous nous faisiez confiance ». Faustine, dudit BTS, me dit que Culture G, c’était sa matière préférée cette année. Côté 3e, je partirai avec le souvenir de Kieran, qui s’est mis à participer en cours et a arrêté de rendre copie blanche. De Léna, qui comme Kieran d’ailleurs, est passée de -10 à 5 en dictée. Et comme je le soulignais il y a quelques années, je ne le raconte pas pour me la péter. J’ai besoin d’emporter ces petites victoires de l’autre côté.
Parce que l’an prochain, j’aurai peut-être, sans doute, pas de boulot. Si j’en ai pas, je peux pas me présenter au concours interne. Et je suis pas prête pour l’externe. Je suis pas prête DU TOUT. J’ai dépensé plus de cent balles en bouquins, mais soyons sérieux : j’ai pas su répondre à une question du DNB, aujourd’hui. Autant te dire que l’analyse grammaticale de l’ancien français, on peut oublier. Je connais même pas mon alphabet phonétique. Et ouais, boouuuuh ! Comment tu peux te prétendre prof de français dans ces conditions, hein ?
Je peux parce que je sais. Je sais ma langue, ses subtilités et sa beauté. Et parce que je sais enseigner. Je foire toujours des trucs, mais j’ai jamais raconté de conneries, et je laisse pas Kieran dans un coin parce qu’il s’est endormi. D’ailleurs, en vrai, Kieran dort jamais, en français.
Le seul livre que j’ai lu ce mois-ci, apparemment (je veux dire que je peine à y croire et que je suis un peu vexée), c’est L’Arbre-Monde de Richard Powers. Je l’ai terminé cet après-midi (on est le lendemain de ce que j’ai écrit avant Lunatic Soul. Oui, j’ai une obsession pour la chronologie.)
Une chose peut voyager partout, rien qu’en restant immobile.
Il lui reste à découvrir que les mythes sont des vérités fondamentales déformées en formules mnémotechniques, des instructions transmises par le passé, des souvenirs qui attendaient de devenir prédictions.
Un être peut voyager partout, à force même d’être immobile.
Aujourd’hui, j’ai emmené Dann à Tréguier, où il passait son Grand Oral de cinq minutes, soient cinq de moins que les 3e pour leur DNB. No comment. Je l’ai beaucoup aimé, Dann. C’était très agréable de faire la route avec lui. Je suis curieuse de le voir vieillir.
L’oral avait lieu au lycée public, Savina. Depuis que j’en connais l’existence, j’ai toujours eu envie d’enseigner là-bas, parce que c’est là que partent nos élèves les plus barrés : ils font option cinéma, théâtre… « Hybridation des matières et techniques appliquées au design… » Même leur site web est hyper stylé, comparé aux autres. Je vous laisse découvrir à quoi ça ressemble. Je pense que vous allez tout de suite comprendre pourquoi, arrivée sur place, j’étais en mode « OMG je VEUX travailler là. » Ce cloître, nom de dieu.
En attendant – et j’ai attendu longtemps, quarante minutes de retard -, j’ai bouquiné et regardé les gens. Dans mon téléphone, j’ai noté : « Ce vieux couple qui passe. Elle a l’air plus âgée que lui, plus aigrie en tout cas. Il lui dit quelque chose en lui caressant les cheveux. Elle sourit. Il la ramène contre lui et son sourire s’élargit. Et moi aussi j’ai souri, les larmes aux yeux. »
Y’a quelques années, j’ai écrit ça, ça m’a fait marrer, je vous le mets :
« J’ai aussi commencé ma journée en buvant du cacao à la place du café, et j’ai dégusté une pêche par plaisir aux alentours de 14h. Je vais mal. Aidez-moi. Au secours ! Si ça continue, j’irai au marché le samedi matin et à la piscine le mercredi. Quelle angoisse ! »
Bon eh bien, désormais, le matin, je ne bois plus que du thé, vert, et même noir ! et… je vais au marché tous les vendredis (depuis que j’ai plus cours sur ces heures-là.)
Bon, eh bien (bis)… C’est les vacances ! J’ai des piles de bouquins pas très marrants qui m’attendent… Ainsi qu’un rendez-vous à la mairie de La Motte pour refaire ma carte d’identité. On en est rendu là, oui. Je croise les doigts pour qu’elle arrive à temps, Ubik veut m’emmener quelque part :)
2 commentaires
Sabina, c’était mon lycée. C’était juste extraordinaire. Les élèves étaient dingues et les profs au top. Ces années-là m’ont marquées.
Je ne te savais pas encore dans les parages ! Cela me fait plaisir de te lire ici :)
Eh bien je n’ai plus qu’à réussir le concours, si je veux un jour rejoindre cette cour des miracles ^^ Certainement pas pour cette année, malheureusement !