Miscellanées d’Octobre
Sans fil conducteur mais avec du soleil.
« Octobre n’est jamais en retard », me disais-je en pressant le pas sous la pluie. Le 1er, en effet, une agaçante bise d’automne vous enfilait des gouttes dans le cou. Trois jours plus tard pourtant, le soleil était là. Or et blanc comme il se doit – enfin !
Je suis allée à Paris. Je suis rentrée les poumons noircis : tous les fumeurs présents à la formation ont clopé compulsivement, comme si nous avions été ramenés dix, vingt ans en arrière, et que nous nous accrochions à nos mégots tels des naufragés dans cette ville trop grande et beaucoup trop bruyante. Le lendemain de mon retour, j’avais la crève.
Life in here
Début octobre, j’ai publié ce billet sur le handicap, et la nuit qui a suivi j’ai fait un rêve qui m’a beaucoup marquée : je m’y occupais de ma mère et… j’étais sereine. Elle y était nue et je la tenais contre moi pour l’aider à marcher. Et rien. Pas un dégoût, pas même un frisson. En revanche, mon père était fou. Il hurlait, menaçait de me tuer et me disait que tout était ma faute. Ça, c’était la deuxième fois que ça se produisait ce mois-ci. À Paris, allongée dans ce canapé-lit inconnu, tressaillant aux cris des jeunes voisins fêtards, j’avais rêvé que mon père me poursuivait, une carabine à la main, armé d’une haine indicible dont je ne comprenais pas l’origine. (Je crois que ça faisait suite au moment où je rencontrais les gars d’Hocico et draguais Erk sans aucune retenue, hum.) Et les pièces… J’emmenais ma mère dans une « chambre », un taudis sous les toits, avec que des trucs posés sur le sol, où tout était crade et où il n’y avait aucune fenêtre. J’y dormais aussi, je crois, ou dans une pièce identique.
Je rêve très souvent d’endroits pestilentiels et sans fenêtre. Je n’avais jamais rêvé de ma mère sans avoir envie de gerber en me réveillant. Ni de mon père me terrifiant. Je ne sais pas ce que ça veut dire, je peine encore à reconstituer le puzzle. Mais… Me réveiller sans la bile dans la bouche, penser au monstre qu’était devenue maman avec légèreté… Ça m’a boostée malgré la fatigue. Je me suis sentie… délivrée. Comme si le démon qui habitait Maman, et dont je sais très bien qu’il me possédait également, était parti. Des deux mains dont les ongles écartelaient mon ventre, ne restaient ce matin que quelques striures sur ma peau, et elles ne me faisaient pas peur. Parce que mes cicatrices, elles font partie de moi. Je n’ai jamais voulu les effacer, je les chéris même, sans doute un peu trop, mais je suis trop narcissique pour m’en soucier. Ce matin, le démon était parti. Je l’avais conjuré, à force d’exorcismes mélodiques, de persévérance, de méditations et de hurlements.
Quant à mon père, eh bien… Ma foi, je me demande s’il est possible que ma parfaite sérénité à l’égard de mon hypothétique demi-sœur ait eu besoin d’être étayée par quelques cauchemars. Les gens à qui j’ai parlé de l’éventualité que mon père ait eu une fille avant moi m’ont tous demandé ce que j’en pensais. À tous, j’ai fait cette même réponse : « je m’en fous, en fait… Il a l’air heureux et ça ne me concerne pas. » Et c’était absolument sincère. Je me demande si je n’y ai pas vu pour lui une échappatoire, comme une deuxième vie pour racheter celle qu’il avait vécue. Or, je fais partie de cette dernière. Donc, je devais disparaître pour qu’elle advienne, ou plutôt c’est parce que j’existe que cette vie-là lui avait été confisquée. Je n’en sais rien, c’est la première fois que je m’exerce à l’interprétation des rêves façon Vanina, sans recourir aux arcanes universels :)
Paris, donc, était lumineux, et beaucoup plus facile à vivre avec du blé – remboursable, qui plus est. Pour aller chez Damien et Sophie depuis Montparnasse (d’où j’arrivais) comme de Raspail (d’où je prenais la 6 à l’issue des jours de formation), une grande partie de la ligne est aérienne. Avant Bercy, tu traverses la Seine, et le soleil se reflète sur des balcons qui le renvoient en arc-en-ciel. Près de la Place d’Italie, on peut admirer des street-arts impressionnants, qui montent à l’assaut des étages et crèvent les murs d’horizons miniatures. L’automne sied merveilleusement à la capitale. Sophie me disait trouver un certain réconfort à déambuler devant la monumentale fontaine de Daumesnil. Je saisis, même si j’aurais aimé en capter les mouvements sans l’incessant bruit des voitures. Paris était crevant, et pas seulement parce que c’était Paris, mais parce que ce n’était pas chez moi. C’était chez les autres, avec les autres, tout le temps.
Cela ne m’a pas empêchée d’apprécier l’escapade, d’abord parce que mes collègues étaient chouettes dans l’ensemble, et que nos échanges m’ont nourrie et inspirée. Nous sommes tous, par nos vécus, nos personnalités, notre parcours professionnel… très différents, et pourtant il y avait une chaleur, un enthousiasme à être ensemble et une bienveillance qui m’ont beaucoup plu. Le dernier soir, nous avons bu un verre dans les Jardins du Luxembourg. Neuf euros la pinte, et pourtant, aucun regret !
Je suis revenue avec la crève, donc, et j’ai mis un peu de temps à me réadapter. Pas envie de m’efforcer à, et une fatigue implacable. Pourtant, après un lundi un peu difficile bien que je n’aie eu que deux heures de cours, tout me paraissait simple. Parce que mardi, j’avais tout le monde, pas que les latinistes, que j’aime beaucoup, c’est pas ça, mais comme ça ne m’intéresse pas… Tout le monde, ça voulait dire les petites de cinquième dans le hall, qui crient « madame G est revenue ! » Et les troisièmes avec leurs questions pertinentes, et les secondes enfin devenus adolescents. J’ai pu parler « Français » avec tout ce petit monde, et il n’y a que ça qui m’intéresse.
Ah oui, tiens, les élèves. Je peux en parler puisqu’on est dans les miscellanées : j’en peux plus de lire sous la plume de Titiou Lecoq que l’école « pousse les enfants à être les premiers, les meilleurs. Pas seulement qu’ils aient les connaissances requises, mais qu’ils soient devant les autres élèves. Il faudrait réfléchir à notre idée de la réussite scolaire et au prix qu’elle coûte aux enfants. » Je sais pas dans quel monde elle vit, mais ce n’est pas le mien et je me sens agressée à chaque fois qu’elle écrit ce genre de chose – ce qu’elle fait à chaque fois qu’elle parle de l’Éducation Nationale. Écoute, Titiou, si c’est ce que vivent tes enfants, change-les de bahut. Et arrête de faire des généralités. Ça fait huit ans que j’enseigne, bordel, et je ne comprends pas de quoi tu parles.
Le reste du mois a traîné en longueur jusqu’à vendredi – le 22, les vacances, donc. Aubes menaçantes, gonflées de pluie, ou alors exhibant la promesse parfois fallacieuse de jours rose et or. Monotonie des allées et venues, entre Saint-Brieuc et Plérin, entre le bahut et ma voiture, parfois sous le crachin, une fois sous des trombes d’eau. Crépuscules de plus en plus prématurés – et encore, on n’a pas changé d’heure… Ces vacances tombent à pic pour me reposer, et préparer l’interminable et effroyable (oui, parfaitement) période qui sépare la Toussaint de Noël.
On a recommencé Divinity 2, BBM, Maloriel et moi. Et c’est trop cool. Outre les mods cosmétiques grâce auxquels on est mais tellement badass, y’a entre nous une entente, dont je ne doutais pas mais qui me réchauffe le cœur chaque fois qu’on se croise. C’est toujours tellement cool, pas seulement de jouer ensemble, mais d’être ensemble. Plus le temps passe, plus je chéris mes proches, parce que je réalise que les personnes avec qui le courant passe en toutes circonstances sont rares, et le sont encore plus les amitiés au long cours. Chez Alan et Rég’, le week-end du 16, nous étions effarés de constater que nous ne nous étions pas vus depuis plus d’un an. Mais si on omet les anecdotes et grands récits de vie à rattraper, c’est comme si nous nous étions quittés la veille. Idem avec la petite bande du jeu de rôle du dimanche – on y croise peu ou prou les mêmes personnes, BBM, Mal’, Ubik, Gradlon et moi, et tout y est… simple. On peut se dire quand ça ne va pas, on peut aussi le passer sous silence, c’est juste qu’on est contents d’être ensemble. Et je sais pas toi, mais j’ai connu des gens avec qui, quand ils ont des soucis, ça peut devenir super tendu.
Films et séries (+ un livre)
(Les films sont à voir sur Shadowz, les séries sur Netflix.)
J’ai commencé, évidemment, à regarder une série qui s’appelle Octobre. Je ne comprendrai jamais les personnages qui demandent « y’a quelqu’un ? » quand ils entendent un bruit chez eux. Reste que ce « bonhomme en marrons » m’intrigue et me plaît parce qu’il sied aussi bien à l’automne qu’à l’ambiance mi-enfantine mi-chamanique de ce 31 qui approche.
Pour rester dans l’ambiance, ce mois-ci j’ai vu :
– Monsters (c’était peut-être fin septembre.) Très belles images, pour ma part j’avais l’impression d’être dans un mélange de Jurassik Park et d’Annihilation, avec une touche de Niourk pour les créatures. Mais alors, que les personnages sont nuls ! Le mec est un connard, la fille est douce, gentille et cruche – et attirée par le connard, cela va sans dire.
– Triangle, une histoire de boucle temporelle que j’ai trouvée très très bien ficelée.
– Detour, dans lequel un ado engage un tueur pour se débarrasser de son beau-père. Rien ne tourne comme prévu et les personnages s’avèrent vachement intéressants. J’ai adoré.
– The Stepfather, un film de 1987 (je précise parce que ça n’a pas la même « patte » : ni les couleurs, ni l’atmosphère ne sont comparables à ce qu’on produit aujourd’hui.) C’est l’histoire d’un type qui a tué toute sa famille parce qu’elle était « décevante. » On y croise un personnage, Ogilvie, qui est le plus inutile de l’histoire du cinéma. Sérieusement, ça me fait de la peine pour lui. C’est vraiment un film intrigant et haletant, sinon.
– Lucky. J’achète pas du tout. Pas assez concernée, j’imagine. C’est l’histoire d’une femme qui se fait agresser toutes les nuits par un type, qui revient même après qu’elle l’ait tué. Ça partait super bien, avec beaucoup d’éléments absurdes qui rendent le film très angoissant, mais pour moi le propos féministe fait tout partir en cacahuète.
Côté séries, en plus d’Octobre et parce que j’aime bien me détendre aussi, je regarde Superstore. J’ai tenté complètement au hasard et en fait c’est génial. On rit beaucoup… Tout en grinçant sérieusement des dents. On est souvent moins dans la satire que dans le réalisme et je trouve que la série illustre plutôt bien l’idée que « l’humour, c’est la politesse du désespoir. »
Je crois bien n’avoir lu qu’un livre ce mois-ci. C’est La ligne noire de Jean-Christophe Grangé. Un de ses premiers, cela se sent d’après moi et ça n’était pas pour me déplaire : même si l’intrigue m’a paru cousue de fil blanc, au moins n’était-elle pas complètement invraisemblable. Parce que c’est ça le hic, avec les plus récents… On ne risque pas de deviner ce qui va se passer, parce que c’est tellement capillotracté que ça en devient ridicule. Par ailleurs, vu que je l’avais acheté pour passer le temps dans le train, il a parfaitement rempli son office. J’aime bien le style de Grangé, l’importance qu’il accorde à décrire les paysages et surtout la météo, qui joue un rôle symbolique – parfois un brin appuyé, mais qu’importe.
Musique
Alors, j’ai écouté… du rap, donc je vais commencer par ça parce que ce sera peut-être plus simple pour transitionner après :)
J’adore la « voix off » qui répète et commente comme entre parenthèses :D
« J’ai posé ta photo sur la table (elle est là) »
« Dès que je ferme l’œil putain je vois que j’me suis trompé (c’est vrai) »
hihihi. Et si tu te demandes comment j’en suis arrivée là, eh bien Alibi Montana a raconté son histoire au micro de France Culture, et c’était chouette (enfin, « chouette ». Tu vois, quoi.)
Eeeeet on glisse en douceur vers un tout autre genre, en se concentrant sur le fond mélodique du morceau de Montana, qui est repris d’un air classique, j’en suis sûre, même si je ne parviens pas à me souvenir duquel.
Donc, comme je te l’ai dit le mois dernier, en voiture j’écoute surtout Radio Classique. Ce qui m’a permis de me (re)découvrir une passion pour le baroque.
J’ai aussi vraiment aimé cette pièce. Je n’ai jamais vraiment écouté de guitare classique à l’exception d’un CD enregistré par Alexandre Lagoya quand j’étais petite, ni de musique espagnole, alors que chaque fois qu’il m’en vient à portée d’oreilles, je suis saisie, il y a quelque chose de lumineux et de mélancolique dedans qui me touche.
Wikipédia m’informe que « Joaquín Rodrigo, 1er marquis de los Jardines de Aranjuez, né le 22 novembre 1901 à Sagonte (province de Valence) et mort le 6 juillet 1999 à Madrid, est un compositeur espagnol aveugle. » Ok… oO
Pour finir dans un tout autre registre, voici une chanson captée au hasard entre deux plages de friture, sur une radio inconnue, et que j’ai vraiment beaucoup aimée.
Je vais creuser la discographie de la demoiselle. En attendant, un morceau qui donne envie de prendre la route et de chanter à tue-tête, c’est bien, pour conclure Octobre, je trouve. Et si tu veux entendre Lisa Leblanc chanter en québécoué*, je te conseille vivement celle-ci, elle est très bien pour le moral :)
*Je sais, Lisa LeBlanc n’est pas québécoise, mais elle parle le français avec l’accent de là-bas, ce qui semble assez normal pour une Canadienne et j’imagine qu’ils ont tous à peu près le même dans les provinces francophones :)