Mujeres, brujas
Histoires de meufs.
Ubik se souvient presque mieux que moi de la punkette-rasta qui quémandait une clope Place du Centre, il y a dix ans. Elle ne m’aurait pas convaincue de lui filer dix balles, mais de la suivre dans son plumard, sans problème. Sa voix, mon dieu… Une voix grave et rauque, faite pour les incantations, et qui m’a harponnée sans que je tienne à me débattre.
La plupart du temps, en matière de sexe, je suis assez sélective, pour ne pas dire frigide. Pour tout te dire, j’aime autant me satisfaire toute seule. D’une part parce que je fais ça très bien, d’autre part parce que ce que j’imagine n’inclut pas mon ventre flasque ni de gros plans sur nos attributs respectifs. Après de longues tergiversations, j’admets l’analyse contenue dans cet article sur les shippers : oui, c’est vrai, j’aime les romances gays parce que j’en suis, en tant que femme, exclue. Je peux fantasmer y participer sans me sentir obligée de m’y visualiser. Je ne m’aime pas. Ça fait vingt ans que je m’efforce d’ignorer ma répugnance, mais rien n’a changé. Mes règles, et par extension tout ce qui fait de moi une femme, me dégoûtent. Mon propre plaisir me met mal à l’aise – c’est pourquoi je peine à le partager.
Pour autant, je ne suis pas hétéro. Enfin, je ne crois pas. C’est compliqué parce qu’à l’époque où Julia ricanait, mal à l’aise, parce que je disais que telle fille « n’était pas mon genre », je ne voyais vraiment pas où était le problème. Je sortais avec des mecs, c’est juste que ça me paraissait naturel d’être, ou non, attirée par des gens. Leur sexe ne rentrait pas en ligne de compte dans cette attraction. Du coup, je n’ai jamais su si j’avais dragué les copines de ma sœur par esprit de contradiction ou par réelle envie.
Y’a un pattern, toutefois. Iris m’a aimantée de la même façon qu’une Alexandra : elles avaient besoin d’être sauvées. Fragiles et innocentes, elles me donnaient une opportunité de m’infiltrer dans la faille. Comme par ailleurs je ne concevais de complicité parfaite qu’avec quelqu’un du même sexe, elles alimentaient un fantasme de gémellité (je n’ai jamais, au grand jamais, approché Alexandra. Elle était, selon les standards des films américains, très nettement out of my league.)
Mylène en revanche, n’était pas fragile, ni ouverte à une relation lesbienne. Je pense qu’elle ne l’a pas vue venir plus que moi et que ça a sans doute contribué à signer notre perte.
Je me souviens d’Angèle, qui devait monter un projet de publication de mon roman dans le cadre de son M2 Métiers de l’Édition. Elle m’a dit qu’elle ne sortait en boîte que pour choper de la meuf, parce qu’elle était en couple avec un mec mais, puisqu’elle était bi, il lui fallait de la meuf fraiche tous les weekends. Bonjour cliché, merci Angèle. Merci d’avoir contribué à l’idée, très ancrée chez mon amie Jeanne, à l’époque, qu’être bi signifie être insatiable donc infidèle.
C’est quand même toujours, à quelques exceptions près, les filles que je regarde en premier. Les mecs ne m’attirent que selon des critères très restreints : cheveux longs, silhouette longiligne, vernis sur les ongles (ou bague, ou boucle d’oreille, ou khôl.) Y compris chez mes élèves, chez qui j’aime à rechercher l’adolescente que j’étais : les filles en pattes d’éph’ m’émeuvent beaucoup plus que leurs homologues masculins dont les poils dépassent de leur jean slim-tennis. Oh, oui, je sais, je vais être poursuivie en justice, je mate mes élèves. Pour ta gouverne, si t’es flic en vrai ou en herbe, à quinze ans, le mec que je trouvais hyper séduisant, c’était Robert Redford. Côté femmes, j’étais déjà amoureuse de Béart. J’ai toujours aimé les vieux. À l’heure actuelle, Macron parvient toujours à m’émouvoir parce que c’est clairement un littéraire. C’est dire si j’ai l’amour intellectuel (et limité.)
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Quoi qu’il en soit, l’idée de ce billet m’est venue en regardant ces deux femmes. La première m’a transpercée de part en part, la seconde a des airs de Calypso (il me faudrait au moins une page pour traduire ici les émotions qui m’étreignent), et je me disperse en frissonnant devant sa rage mythologique.
Mon dieu qu’elles sont belles.
Dans les RPG, je joue toujours des gonzesses. Enfin, non : j’ai longtemps et souvent joué des mecs. Parce qu’ils étaient classes, qu’ils me faisaient fantasmer… Mais en vrai, dès que la tronche des mecs ne me revient pas (ce qui arrive en fait régulièrement, si je n’ai pas moddé le jeu pour obtenir pour eux cheveux longs et piercings), je joue une meuf. Et maintenant, je ne me pose plus la question : je veux incarner une personne badass, à laquelle je puisse m’identifier, mais qui soit plus que moi. Qui soit quelqu’un à qui j’aspire à ressembler. Une meuf, donc.
Tu vois cette meuf, elle s’habite tout entière, comme… un mec.
Maloriel avait raison : j’ai passé une partie substantielle de ma vie à m’identifier aux hommes parce qu’ils incarnaient des choses dans lesquelles je me reconnaissais. Je n’en ai pas conclu comme elle que je n’étais pas une véritable femme, « juste » que je n’aimais pas les femmes. Je ne vais pas mentir, j’aime énormément en entendre, des femmes qui me plaisent.
Comme Clara Dupont-Monod (dont je n’ai lu aucun livre). Bah, elle a dit des bêtises. Le programme de français dont elle parle, c’est seulement celui du bac : la littérature médiévale qu’elle cite, c’est au programme du collège hein, et ça l’était au lycée, de mon temps, pour Tristan et Iseult. Je retiens : « je suis la seule dans cette radio à adorer la variété des années 80. » Et aussi quand elle a dit que la réalité, c’était vraiment pas un endroit où elle aimait vivre, mais qu’elle composait avec. « Si je n’écrivais pas, je vivrais moins bien. »
Voilà, comme ça. Si je ne hurlais pas, je vivrais moins bien.
My Ruin prouve assez bien que j’en ai eus, des modèles féminins. Mais pas tant que ça. Prenons Le Tigre.
J’-ADORE cette plage. Elle est parfaitement hystérique. Elle me donne envie de sauter partout en braillant.
Mais j’ai pas pour autant écouté le reste de la disco de Kathleen Hanna, pas plus que celle de Queen Adreena. Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve que ces meufs incarnent un je ne sais quoi d’éternellement féminin qui me plaît et me rebute à la fois.
J’entretiens le même rapport ambigu avec Lana Del Ray :
J’aime tellement ce titre, putain. Pourtant je ne peux absolument pas m’y identifier. Je dis ça comme si toutes les meufs avaient pour vocation de porter ma voix. Non, c’est pas ça… Mais sa voix, à Lana, dans ce titre, j’aimerais tellement l’identifier à quelque chose qui soit pas glam, pas une histoire de mannequin, mais une histoire de meurtre, de vengeance qui te crève la peau, de sang qui gicle. Pardon, mais c’est comme ça. Je voudrais une meuf qui porte ma rage, et c’est le boulot de personne de le faire à ma place, et c’est normal. C’est ce qu’on cherche chez les artistes, j’imagine : d’exprimer nos hurlements, qu’ils soient chuchotés ou exubérants. C’est là que naît la connexion. Je sais pas, moi, ce que c’est d’être Lana del Rey. Y’a pas beaucoup de gens qui doivent le savoir, et le pire, ou le mieux, d’ailleurs, c’est qu’elle m’en donne un aperçu juste en chantant ça. Mais c’est pas moi.
Moi, sans contrefaçon, j’étais Mylène (Oh allez, tu savais qu’on y viendrait)… Nan mais parce que, tu peux rire, mais tu crois qu’il y en a eu beaucoup, des meufs qui chantaient ça et rayonnaient autant ? Des meufs qui chantaient des trucs tantôt crus, tantôt intimes, et qui avaient des millions de fans ? Quand elle s’est tournée dans notre direction à Nantes, alors qu’elle se tenait à quoi, dix mètres de nous, j’ai pleuré. Ouais.
Je vais pas te montrer toute sa discographie live, parce que je pourrais littéralement y passer la nuit (et crois-moi, t’épargner Désenchantée ça me fait mal au cœur), mais comme je crois que je ne l’ai jamais linkée ici, je vais quand même te partager ça :
Et bien qu’elle ait sérieusement commencé à s’auto-parodier… Bien que chaque année j’aime un peu plus à la détester… Ça…
Ben je crois que c’est ce que je m’efforce de traduire en mots et uniquement en mots, vu que j’ai que ça dans mon sac à dos. Tu sais, je pourrais en mettre à la pelle dans mon article, des nanas qui font des trucs. Mais des qui me bouleversent, c’est une autre paire de manches.
Y’a tout de même « ça ». Cette vibe que je retrouve dans Six Feet Under. Je veux pas parler de Wave, en fait. J’en avais jamais parlé à personne. Je crois que je suis obligée de te laisser là-dessus. Fais-en ce que tu veux, mon intention n’était pas de t’emmerder avec mes états d’âme.
4 commentaires
Ton article me fait réaliser que je ne me penche jamais trop longtemps sur ces femmes qui me hantent, car j’entretiens avec ce qu’elles projettent une relation d’obsession haineuse (celle qui se trouve si facilement dans un registre passionnel). Des failles narcissiques sans aucun doute, car je ne vois pas ces personnes pour qui elles sont (comme tu l’écrivais justement au sujet de Lana, on ne le saura sans doute jamais de toute façon) mais pour ce que je ne suis pas. La plupart du temps je m’écrase moi-même la face sur le miroir de leur image, alors qu’au contraire je devrais être plus curieuse des reflets qu’elles me renvoient. Je n’y avais jamais réfléchi de cette façon.
J’emporte avec moi ton « c’est le boulot de personne de le faire à ma place » <3
Oh la la, je te comprends tellement, je crois !
Merci, au passage, d’avoir su tirer quoi que ce soit de cet article, qui est incroyablement foutoir (je crois que cette phrase n’a aucun sens.)
Effectivement, je ne pense pas avoir déjà éprouvé de jalousie pour des hommes. Alors que les femmes me renvoient bel et bien à ce que je ne suis pas et quand c’est purement physique, à ce que je ne serai jamais. C’est d’ailleurs pour cette raison que dans les jeux vidéos, je me crée toujours – quand c’est possible – des avatars excentriques.
D’ailleurs maintenant que tu le dis, même en littérature, j’éprouve peu de ressentiment envers les hommes, alors que les autrices… surtout si elles sont plus jeunes que moi… je les déteste :)
Je crois que je n’ai jamais vraiment éprouvé de désir de quelque chose de fusionnel, du moins… pas spécifiquement avec des filles. Et puis non, je suis vraiment trop un chat sauvage. J’ai besoin d’un-e complice plus qu’un d’une jumelle-jumeau.
Mais c’est intéressant d’interroger nos rapports aux autres femmes parce qu’irrémédiablement ça nous parle de notre rapport avec notre propre féminité. Et souvent il est problématique… Ce sont des questions dont je n’ai toujours pas fait le tour, ça fait plusieurs années que j’y travaille, avec l’aide de mon complice :)
Je sais juste que plus je comprends ce qui me déplaît dans ma féminité réelle ou supposée, plus j’arrive à le dépasser plus facilement. Je recherche des femmes d’un autre genre que celles que je n’aime pas, et à l’occasion, je trouve. Je comprends que je suis LIBRE d’être la femme que je veux, que mon genre n’est pas une prison mais une page blanche.
Toutes les deux je crois qu’on a grandi dans une défiance du corps qui ne nous a pas été enseignée mais qu’on a apprise face à la maladie. Pour moi, c’est lié. Le corps c’est ce qui te trahit, c’est quelque chose que j’ai souvent dit à mon homme. Et pour ma part, le harcèlement et les agressions sexuelles ont construit un malaise grandissant vis à vis de l’aspect féminin de mon corps. Alors je travaille à renverser ce rapport de force. Parce que mon corps n’est pas une extension de mon esprit, c’est moi. C’est par le corps que je perçois, que je ressens. Que je vis. Je peux en faire mon interface avec le réel et non l’objet de mon angoisse et pour ça je dois cesser de m’en séparer et… je sais pas ça paraît un peu con dit comme ça, mais avoir confiance en mon corps. Il n’est ni bien ni mal, ni pourvu d’intention. Il est moi, alors je peux en faire ce que je veux. Avoir confiance en ses ressources même s’il est aussi pourvu de fragilités, comme mon mental.
Je ne sais pas si tout ça est très clair, ce sont juste quelques réflexions jetées comme ça :)
Et une chose est sûre : trouver de nouveaux modèles féminins, qui me correspondent vraiment, et pas à qui je me sens obligée de correspondre parce que ce sont des femmes, ça m’aide beaucoup. Voir aussi des gens jouer avec leur genre, avec leur apparence pour être ce qu’ils ne sont pas, ou montrer qui ils sont en adoptant une apparence décalée… Ça me rappelle qu’on est libres de vivre sa vie comme on l’entend. Et qu’on n’a pas besoin d’être l’image qu’on a de soi, mais d’être tout court.
[…] « (…) on n’a pas besoin d’être l’image qu’on a de soi, mais d’être tout court. » Maloriel, dans son commentaire à Mujeres, brujas. […]