Panique
« Le vertige, c’est autre chose que la peur de tomber », disait Milan Kundera.
« Rien de moins qu’un désespoir, une situation de faiblesse totale, une sensation d’abîme sans fond, un sentiment de peur panique (« panique » veut dire : une peur qui envahit tout) pour secouer ce château fort construit par nos illusions et qui se révèle être, en fin de compte, un château de cartes (…) »
Placide Gaboury, Sérénité en 12 étapes, cité par le Wicktionnaire.
J’ai tronqué la citation, la suite étant : « dès que nous acceptons que nous ne sommes rien, que nous ne sommes que cendres, impuissance, incapacité. »
Je l’ai tronquée parce que de là où je me tiens, panique et acceptation me semblent diamétralement opposées.
Le château de cartes, ça n’était pas de croire que j’étais autre chose que cendres et impuissance, c’était de croire que je m’y étais faite.
*
Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Début août, nous partions en vacances. Je conduisais, on était sur l’autoroute, et d’un coup j’ai eu très chaud, puis une faiblesse dans le bras gauche, enfin le sang qui siffle aux oreilles ; j’ai reconnu les signes d’une perte de connaissance imminente et me suis arrêtée sur la bande d’arrêt d’urgence pour échanger de place avec Ubik. Mais je ne suis pas tombée dans les pommes, je me suis juste sentie très faible. Le soir, au resto, j’étais au bord du malaise et les plats n’arrivaient pas, je me suis couchée sur la banquette – erreur -, j’ai fini par me réfugier dans la voiture, tête et pieds sur les portières.
Après ça j’ai eu l’impression d’être toujours en hypoglycémie, je me levais affamée et fébrile, le sol tanguait, Ubik cuisinait en urgence et je mettais trois heures à m’en remettre. On s’est dit que j’étais anémiée, vu que j’avais mes règles depuis un mois, et j’ai pris des compléments en fer. On a essayé de profiter de nos vacances, avec moi qui ne conduisais plus, ni ne marchais beaucoup – j’avais toujours l’impression que j’allais tomber. Jusqu’au jour où nous avons visité une grotte et qu’à mi-parcours le vertige m’a emportée, dans ma tête je suis partie en avant, j’étais en sueur et je ne voyais plus rien sur les côtés. Après ça, nous avons décidé de rentrer à la maison.
J’ai passé ces dernières semaines cloîtrée. Ma sœur est venue une première fois, j’essayais de faire bonne figure mais la tête me tournait. On a écumé la ville pour trouver un médecin qui reçoive sans rendez-vous, au final je suis allée chez le médecin de garde à l’hôpital, j’avais trente minutes d’avance sur l’ouverture du service, on était déjà dix, et j’ai finalement cramé la queue en faisant un malaise (le médecin m’a dit : « qu’est-ce qui vous arrive ?
– J’ai l’impression que je vais m’évanouir.
– Mais non, vous n’allez pas vous évanouir », m’a-t-il répondu avec assurance.)
J’ai pleuré pendant que l’urgentiste m’examinait. Elle m’a demandé pourquoi je me mettais dans un état pareil, alors comme l’argument selon lequel éprouver un vertige permanent n’avait pas l’air convainquant, je lui ai dit que j’étais toujours terrifiée en présence du corps médical, parce que quelque part je voyais toujours ma mère.
L’urgentiste m’a répondu : « elle avait une forme grave, votre mère ? Parce qu’aujourd’hui, on vit très bien avec la sclérose en plaques ! » Envie de meurtre.
Les examens à l’hôpital n’ont rien donné et c’est tant mieux : scanner ok, bilan sanguin aussi. Depuis, j’ai vu un généraliste et un kiné. Je n’ai pas non plus de cristaux. La seule question qui revienne en boucle, c’est : « vous êtes quelqu’un d’anxieux ? » Et je déteste cette question, parce qu’elle me donne l’impression d’être une idiote hystérique. Toutefois, d’après le kiné, mon cerveau a bâti une jolie phobie autour de ce premier malaise, et je suis obligée d’admettre que c’est sans doute vrai, parce que depuis une semaine je sors tous les jours avec Ubik, et qu’un pas après l’autre, certaines choses s’arrangent.
En son absence, et puisqu’on m’a dit que tout était dans ma tête, j’ai conduit jusqu’à Carrefour. C’était même pas ma destination, je me suis dit que j’allais jeter le verre parce que c’est à côté de chez moi et que ça ferait un bon test, comme il s’est bien déroulé je suis allée plus loin, mais arrivée au feu rouge en ville je ne sentais plus mes mollets, je crevais de chaud, et j’avais tellement l’impression de partir que j’ai failli me garer en warning sur le bas-côté. J’ai bifurqué vers une portion de route moins fréquentée. Un mètre après l’autre, je suis arrivée au supermarché, et un mètre après l’autre, j’ai fait mes courses.
« Vos malaises sont dus à la panique. »
Aujourd’hui Ubik m’a dit : « on tente la voie rapide. » Ça fait quelques jours que je parviens à conduire sur les petites routes, un peu moins en ville dès qu’il y a du monde ou un feu rouge, mais avec lui à côté je m’en sors. Je me suis donc engagée sur la quatre-voies, pas très confiante. Il n’a pas fallu dix secondes avant que j’aie l’impression que mes bras tremblent, je ne sentais plus mes mains, et mon cœur me donnait l’impression de battre si fort que j’en étais étourdie. J’ai pris la première sortie, je me suis arrêtée en vrac, j’ai dit « je veux marcher, prends le volant, je sais pas, j’y arrive pas » et le pire c’est que ça allait mieux, mais ça m’a tellement vidée, tellement fait peur, que j’avais juste envie de me laisser traîner. Oui, j’ai flippé d’avoir paniqué, c’est exactement ça.
Je fais tout ce que je peux pour convaincre mon cerveau qu’avoir l’impression de basculer en avant, ce n’est qu’une impression, et que ce n’est pas grave. Rien à faire. La panique revient, à chaque fois. Et j’ai beau me répéter que c’est débile, à un moment, ça ne m’aide plus tellement, parce que c’est peut-être « seulement dans ma tête », mais moi ça me fait une belle jambe, que ce soit seulement dans ma tête. Les effets me sont réels. Et l’autosuggestion ne fonctionne pas, alors, comment je m’en sors ?
On m’a dit deux choses importantes, ces derniers jours. D’abord, le directeur adjoint, auprès de qui je me suis excusée de mon départ précipité de l’AG de rentrée, parce que ça tanguait sa race dans la cafétéria bondée, m’a répondu à peu près ceci : « je comprends totalement, j’ai connu ça, et après avoir rencontré ORL, psy et tout le tintouin, on m’a dit qu’il s’agissait probablement d’une phobie sociale. J’ai dû apprendre à vivre avec, on en parle si tu veux. » Et juste savoir que mon supérieur ne me jugeait pas, qu’il ne trouvait pas dingue que je fasse des malaises sans raison apparente, ça m’a apaisée, un truc de fou.
À côté de ça, j’ai reçu un message maladroit mais certainement bien intentionné de ma collègue chargée du BTS : « si c’est du stress lié à la prise de poste et à l’inspection à venir, sophrologie, réflexologie et hypnose fonctionnent bien. » Et ça m’a mise très en colère. Dieu merci j’ai pas répondu sur le moment, je serais passée pour une véritable connasse. Là où ça me paraît important, c’est que ce que je me suis écrit à moi-même ce soir-là pour me calmer recèle probablement beaucoup plus de clefs que je n’étais prête à l’admettre jusque-là.
Ah, c’est bien, je préfère largement Fureur. Je sais la gérer, elle. J’ai même créé une playlist Spotify pour m’aider à la vomir/la contenir. Je suppose que je devrais dire merci ? Grâce à toi, Cécile, je suis désormais plus énervée qu’angoissée. J’ai tellement envie de HURLER, là tout de suite.
Ça fait dix ans que j’enseigne, chérie. J’ai pas pété une durite parce que c’était la rentrée. En revanche, je me suis pas remise de la mort de mon chat, et ça te paraît sûrement très con, mais j’avais jamais vu agoniser qui que ce soit (quoique…), et puis celui-ci c’était un symbole, c’était notre chat, il vivait avec nous depuis notre première maison en location, c’était notre bestiole, notre responsabilité, notre ancrage dans le présent. Et ce chat, il est mort en juillet, presque un mois avant l’anniversaire du décès de ma mère, et en parlant de ça, je crois que j’en ai accumulées, des années d’anxiété, des années à prendre sur moi, à ignorer, à faire semblant, à être forte, alors tu vois, qu’un jour ça pète, ça me semble pas si fou, voilà, je n’y arrive plus, à être ce que je me suis obligée à être, à composer, à m’adapter, j’implose tu comprends, c’est comme un truc sous pression qui fissure de partout, ça commence par les plaies que tu laisses pas cicatriser et ça finit en crises de panique, ça te surprend, toi ?
Quand on me demande si je suis anxieuse, j’ai toujours l’impression qu’on minimise ce que je ressens. Au kiné, j’ai répondu « bah oui, mais… j’ai toujours réussi à passer outre… » Et maintenant je me dis fais chier putain, j’aurais dû dire « OUI J’AI TOUJOURS ÉTÉ ANXIEUSE, ÉVIDEMMENT, mon père m’a annoncé qu’il allait se suicider, ma mère agonisait dans un fauteuil roulant, je croyais que je devais protéger ma sœur et je réalise seulement maintenant que j’ai peut-être le droit de pleurer recroquevillée dans un coin. Mais je suis incapable de le dire à ces gens, parce qu’à force de bredouiller, j’ai juste l’air d’une pauvre fille hystérique.
Je suis terrifiée de ce qui m’arrive en ce moment, et à l’idée de ne pas trouver de solutions. Mais ce qui me paraît évident, c’est que ça me pendait au nez. Et c’est peut-être une opportunité. C’est pas normal de se mettre dans des états pareils, à cracher du fiel comme ça, juste parce que quelqu’un a mal évalué la situation, en toute bonne foi et sans mauvaises intentions. Et ces crises de panique, elles me disent explicitement que je suis arrivée au bout de quelque chose. Je sais pas comment m’y prendre pour guérir, je sais pas comment affronter la rentrée mardi (cercle vicieux de l’angoisse), mais ce dont je suis sûre en revanche, c’est qu’il est grand temps que je m’affronte.
3 commentaires
La peur de la peur, quel cycle infernal…
Je suis soulagée de lire que tes malaises ne semblent pas d’origine physique (même si je comprends grave l’agacement du « c’est tout dans ta tête »), et je ne saurais te suggérer des pistes sur lesquelles tu n’es pas déjà en train de t’engager. Bravo d’ailleurs pour cette capacité de recul sur toi-même qui me fait croire que tu vas t’en sortir – expression choisie intentionnellement au lieu de « guérir » – et me dire qu’il y aura beaucoup de lumières de l’autre côté.
Je voulais juste te partager un moment important d’une de mes séances il y a quelques années, lorsque j’indiquais à ma psy que je m’en voulais de me sentir complètement hystérique par moments et que je m’excusais de ne pas réussir à le contrôler. Elle m’a répondu : « vous n’avez pas à vous excuser de souffrir vous savez ».
Je pense fort à toi dans cette traversée <3
Coucou Kalys,
J’étais justement en train de t’écrire un mail car j’étais un peu inquiète de ne pas avoir de nouvelles sur ton blog ou par mail (je sais j’ai mis beaucoup de temps à te répondre car j’avais perdu l’habitude de consulter cette messagerie mais maintenant j’y retourne plus souvent !), je suis vraiment désolée de lire ces mots et d’en sentir la souffrance… ça me rappelle les heures terribles passées à essayer de conduire quand l’angoisse montait… du coup, je ne sais pas si tu as pu lire mon mail mais je te (re)conseille la thérapie emdr que j’avais suivi, très efficace, je te mets le site officiel https://www.emdr-france.org/
Il vaut mieux regarder dessus pour trouver un thérapeute qui a bien validé la formation. Tu peux m’écrire quand tu veux, ceux qui ne comprennent pas cette souffrance sont des imbéciles, je t’accompagne pendant ces moments difficiles… <3
Je suis contente que tu aies le soutien du directeur adjoint, et qu’il ne t’ait pas conseillé de faire de la sophrologie :D
Ton analyse me semble assez juste. Quand on y pense comme ça c’est assez logique, ce débordement. Et Elliness a raison : on n’a pas à s’excuser de souffrir. Et l’hystérie, à la base, c’est typiquement une manifestation physique d’une souffrance mentale. Ça n’a rien de honteux. Ça montre juste qu’on a trop encaissé.
Et je pense que tu as raison aussi de voir tout ça comme une opportunité possible : ça t’oblige à réévaluer les choses et peut-être trouver de nouvelles manières de vivre. Parfois faut une crise pour débloquer les situations !
Et moi je suis confiante, bien sûr que tu trouveras des solutions, d’autant que tu n’es pas seule et isolée là dedans. Et comme tu l’as vu, en en parlant, tu vas tomber sur des gens à côté de la plaque, mais aussi des gens qui comprennent ou ont vécu des trucs similaires et perso je trouve que ça aide beaucoup, parce qu’on se dit que c’est « normal » de se retrouver dans un sale état même si on a l’impression qu’on aurait pu l’éviter. C’est probablement faux. Ça arrive pour une raison, et pas parce que tu es faible.
Bon courage en tout cas, et ne t’inquiète pas, tu resteras pas coincée comme ça pour toujours, mais il faut que tu prennes soin de toi et que tu t’autorises à ne pas aller bien.