Reflets d’Angoisse et Furies rampantes
666 degrés (de pierre) en dessous, on danse.
Mercredi 26 septembre 2018
Quand je relis ce billet de 2016, le chemin parcouru me saute aux yeux. Comme si, quand on avançait sur la corde raide, on ne pouvait rien voir d’autre. Jusque-là, tout ce que je percevais, c’était le vide. Et j’étais contente parce que je tenais toujours en équilibre sur mon fil.
Et cette année, pour la première fois de ma vie j’ai l’impression, j’ai atteint le rivage. Comme si mes refuges n’étaient plus des mondes imaginaires dans lesquels je me carapatais dès que la mer grossissait, mais que j’avais vraiment trouvé une cabane sur la plage, et que désormais je n’entendais plus que les vagues se fracasser sur les planches disjointes. Mais moi, je suis à l’abri, et même si les embruns m’atteignent encore, ils se contentent le plus souvent de suinter le long des murs. Dans quelques mois, plus rien ne passera. Plus rien de mal, en tout cas.
Les vertiges étaient réels. Je m’en souviens d’autant mieux qu’ils ont disparu. Angoisse est partie. Ou plutôt, comme je l’écrivais la dernière fois : je l’abreuve de café et lui verse un godet de bière (sauf ce soir, où j’ai beaucoup trop bu et où il est beaucoup trop tard – entendre : 22h30). C’est la première fois de ma vie que je ne me lève pas tétanisée. Aujourd’hui, quand je vais me coucher, je suis capable de m’autoriser à n’être nulle part ailleurs que dans mon lit. J’arrive à laisser le jour derrière moi et à ne pas anticiper le lendemain. Je prends le volant le matin en sniffant mon thé au jasmin, dont l’odeur m’apaise, mais je ne suis plus obligée de me forcer. Je bois du thé vert parce que j’aime ça, je ne m’y efforce plus. Angoisse a reculé comme un fauve acculé, alors je dois faire attention, parce que les monstres sont doués pour se cacher et ressurgir façon jump-scare.
Mais les aubes sont sublimes. J’ai vu des levers de soleil incroyables, derrière lesquels je n’ai décelé nul inexorable. Je suis crevée, mais je ne suis plus malade. C’est une putain de victoire.
Je ne sursaute plus au moindre bruit. Je ne suis plus recroquevillée. Je ne crains même plus de me tenir debout devant trente-trois élèves de troisième (en revanche, ça me fatigue d’avance !)
I’m not dead enough for life.
Ce qui signifie que je peux être qui je veux, comme je veux. Je disais à Mathias tout à l’heure, en parlant de je ne sais plus qui : ils m’ont (ils nous ont) jugé(e)s), mais ils ont perdu. Aujourd’hui, ils sont dépressifs, divorcés, perdus… Et ben pas moi. J’ai jamais cessé d’être ce que je voulais, et j’ai gagné. Je suis libre. J’ai sans doute pas vaincu mes démons, mais j’ai de l’espace, vous comprenez ? J’ai une arène, là où la plupart des gens n’ont qu’un bac à sable. Ils se sont foutus de ma gueule, ils m’ont dépréciée, ils se sont permis de me donner leur avis. Aujourd’hui je suis debout. Je n’ai pourtant pas grand-chose, et presque rien que j’aie gagné en combattant. Je n’ai conservé que ce que j’avais : un mec, une sœur, des amis… Et un chat, seule « chose » que j’aie « acquise ». Mais toutes les « choses » que j’ai conservées ou gagnées, je les dois à ma détermination. La même qui m’a valu de vaincre Angoisse, celle-là même qui me fait employer des phrases qui s’achèvent sur des points définitifs un brin moralisateurs. J’ai jamais fait la leçon à qui que ce soit, mais on me l’a faite toute ma vie, aussi je m’arroge le droit d’être sentencieuse sur mon blog.
Et si vous ne voyez pas de quoi je parle, lisez donc les articles de Flow ou de n’importe quel magazine ou blog un minimum orienté life-style. La vie qu’ils décrivent, c’est la mienne depuis plus de dix ans, mais tout le monde trouvait ça ridicule : « quoi, t’as pas Facebook ? », « hein, mais, t’utilises pas de smartphone ? » Ben non, et maintenant tout le monde cause slow-life et virtual detox. Haha.
Mercredi 5 mai 2021
Fureur, ma vieille copine, nourrissait Angoisse. Je tentais vainement de conserver cette dernière encagée mais, comme les golems de chair de Divinity 2, elle finissait par briser les barreaux en mode berserker. Aujourd’hui, Angoisse hante la cave. J’y descends rarement – j’ai vu trop de films d’horreur pour souhaiter m’y aventurer sans une excellente raison. De là où elle se tapit, je peux toujours l’entendre hurler quand elle s’y résout. Je me prostre, je me bouche les oreilles et je gémis, comme si je ne savais même plus comment vivre avec ses hululements. Angoisse me file un cafard noir. J’ai pourtant vécu sous le même toit qu’elle pendant un paquet d’années – au point de la nommer et de m’en accommoder.
Ça me prend par bouffées, comme si elle explosait en spores fugaces à l’intérieur de moi. Soudain, sans la moindre raison, ça me soulève les entrailles, le ciel s’obscurcit et j’ai peur. Le plus souvent, ça ne dure pas. Ce qui peut durer en revanche, c’est le désenchantement qui parfois se mue en tristesse sourde. C’est elle aujourd’hui que je continue de noyer consciencieusement, trop lucide sur ses raisons d’être, trop lâche pour les affronter. Non, « lâche » c’est trop fort, imparfait, aussi. C’est plutôt que je ne me fais pas confiance. Je ne crois pas pas que j’aie ce qu’il faut pour les surmonter.
Et il reste Fureur. Elle, je l’aime bien. Elle me pourrit la vie, hein. Vu qu’Angoisse est un peu, euh, décrépite, Fureur s’est mise à peindre Tristesse. Elle la façonne, l’alimente et la pouponne. Mais surtout, elle me fait me tenir droite. Fureur a ses délires parfois masochistes, mais c’est ma colonne vertébrale et je sais aujourd’hui qu’elle est la seule que je n’abandonnerai jamais. Elle a le mérite d’être droite et entière. Et… légitime.
Parce que si ma tristesse est passagère, et si l’angoisse s’est tue…
J’ai appris ce matin que les États-Unis souhaitaient partager les brevets des vaccins contre le covid pour aider l’Inde, notamment. Les laboratoires pharmaceutiques ont dit non.
Il y a des gens qui pensent que les navires de sauvetage sur la Méditerranée sont des taxis.
La fille de Cath lui répète qu’elle aime le type qui a manqué lui fracasser la tête contre un mur.
Et bien sûr je vais pas continuer comme ça cette litanie que vous connaissez bien mais oui, elle m’oblige à me rigidifier, parce que y’a pas de compromis acceptable, face à des divergences qui non, ne sont pas d’opinion.
Ça n’existe pas, « ma vérité », d’accord ? Il y a des faits sur lesquels se greffent éventuellement des ressentis. Un viol en reste un même si le coupable n’était pas « malintentionné. »
Fureur, elle m’oblige à contempler ma gueule dans un miroir et à me demander chaque seconde si ce que j’ai dit ou fait était en accord avec mes principes. Elle m’interdit autant de pardonner que de juger.
Je m’étais mis en tête – j’en avais déjà parlé, du moins je crois – d’écrire un article sur la manière dont j’avais enchaîné Angoisse. Pendant très longtemps, je ne me suis pas sentie légitime. Tu m’étonnes. Je suis pas quelqu’un de serein ! Et j’espère bien que je ne le serai jamais.