Rennes, ici Rennes
Assurez-vous de n’avoir rien oublié dans le train, et ne vous perdez pas dans les rues, vos souvenirs sont des fantômes.
Sensation étrange que de marcher à nouveau dans mes propres empreintes. Rennes a encore changé, elle m’est désormais pratiquement étrangère. Et en même temps, pas du tout : les rues évidemment sont toujours à leur place. Ce sont les occupants, qui changent, et puis il y a tous ces nouveaux buildings. Il reste toutefois suffisamment de commerces immuables et d’édifices familiers pour que je m’y perçoive, et c’est là que naît cette sensation de décalage, comme de marcher en rêve dans une ville à la fois connue et réinventée.
L’impression est décuplée par la musique qui m’entoure tout à fait et me protège. Mon nouveau casque m’isole totalement ; je croyais que cela m’angoisserait, mais c’est tout le contraire, je peux déambuler en paix et je me sens invincible.
J’ai envie de danser sous la pluie, et je le fais presque, sur le quai de la gare : après tout, ça me paraît plus bizarre de ne pas au minimum taper du pied en rythme que de rester stoïque et droit avec un casque sur les oreilles.
Dans le train je voyage à l’envers en écoutant la playlist MF de Dame Ambre. Tu ne le dis pas me fait penser à Tristana, c’est doux et triste, ça va bien avec le temps gris et la chaleur du wagon (et vraiment, cette ligne vocale). Je conclus de mon zip-zap que j’aime bien Monkey me, mais pas L’emprise.
Et puis forcément mes phalanges glissent le long de la page et du temps, je dévale Avant que l’ombre, il y a plein de titres que j’aime sur cet album, ils ont tous les couleurs des rues de Londres. J’en suis à Innamoramento en arrivant chez moi, j’en écoute la plus grande partie, et je zappe Anamorphosée, je zappe même L’autre, parce qu’en bas de la playlist m’attend À quoi je sers et que fatalement je vais rester achoppée à ses rivages, c’est une rencontre aussi inéluctable que souhaitée.
Ça ne veut plus dire la même chose, maintenant. Quand j’avais quinze ans, c’étaient : la tentation du suicide, la chaleur des mots qui résonnent, la volonté bizarre de vivre, du coup, puisque je n’étais pas seule. Aujourd’hui c’est cette Nath-là imprimée sur ma peau, le souvenir d’un des clips qui m’avaient le plus marquée, et tout simplement une mélodie (cette guitare) que j’aime de toute mon âme, que je peux même fredonner avec entrain, tant elle m’a accompagnée et réconfortée.
Il paraît qu’on n’existe pas vraiment. On change tellement, nos vies ne sont que des histoires qu’on se raconte. Moi je crois que c’est une vision « pragmatique, mais sans importance », comme le disait peu ou prou Solas dans DAI. On EST ces histoires. On le croit assez pour que ce soit vrai, c’est ce qui nous dessine et nous dirige. On croit d’ailleurs encore plus fort aux histoires que les autres se et nous racontent, et c’est pourquoi on les aime ou on les déteste. Je refuse d’embrasser la philosophie bouddhiste selon laquelle tout passe et nous nous regardons trop le nombril, parce que nous sommes nés avec cette conscience, avons acquis la terreur de l’immensité et du vide, que ça me semble à juste titre, et que je trouve que ça mérite qu’on s’en souvienne.
La douleur de la perte s’amenuise. Les souvenirs perdent leur netteté. Mais la marque que les gens laissent, elle est indélébile. Je refuse qu’elle ne le soit pas.
Alors à Rennes j’ai marché dans mes propres pas, j’ai pensé à Kreestal dont je croyais qu’elle habitait désormais mieux la ville que moi, la dernière fois, et que ce n’était pas vrai, elle ne savait pas les mêmes choses que moi, c’est tout ; je suis passée devant l’hôtel Berthelot dont je viens de découvrir le nom, dans cette ruelle que j’adore au-dessus du Champ de Mars, j’ai salué le fantôme de Georges au coin de la rue de Viarmes, me suis inclinée devant les présences écrasantes des lycées Zola et Saint-Vincent, ai pris un café dans un établissement récent rue d’Isly, acheté un Chloé Delaume dans une librairie qui est là depuis sept ans et dans laquelle je n’avais jamais mis les pieds (« mouais, ça fait vraiment longtemps que je suis partie ! », ai-je dit aux libraires mi-amusé (lui, l’ancien) mi-ébahie par ma vieillesse (la jeune)), arpenté l’avenue Aristide Briand jusqu’à en avoir mal aux chevilles dans mes chaussures de marche, et contemplé la ville depuis le 26e étage des tours, place du Maréchal Juin, ces tours depuis lesquelles j’ai vécu tant de Noëls et qui contiennent tant de souvenirs.
« Mesdames messieurs, nous arriverons à Guingamp dans quelques minutes. Assurez-vous de ne rien oublier dans le train, et attention à la marche : l’enjamber, c’est revenir au présent. »
2 commentaires
Je n’aime pas l’album L’emprise non plus, j’ai conservé une chanson à cause de Donjons et dragons (c’est ridicule comme raison mais on fait ce qu’on peut). À terme elle sautera. Pas tout de suite, juste.
Si on écoute tout ce qu’elle a pu produire, il y a plusieurs chansons qui reprennent le thème musical d’une autre, ce que je trouve étrange.
Je ne connais pas Rennes, mais je sais le retour dans une ville importante et cet incroyable pas de côté, ni présent ni passé, une superposition impossible et pourtant là, de ce qui était et n’est plus..
Hum bon je ne connais (presque) aucune des chansons de votre playlist, et c’est dommage car tes mots, Kalys, me donnent envie de découvrir ces titres qui ont l’air de former comme une cartographie…
J’aime assez les retours dans la plupart de mes lieux emblématiques, même si j’ai la nostalgie de l’époque disparue, mais j’aime ces voyages, d’ailleurs, ça fait longtemps que je n’en ai pas fait un… et bon retour au temps actuel ;-)