Respiration
Lundi, H2, heure où je commence : « Madame, on doit écrire ce qui est au tableau ?
– Non, c’est pour décorer. C’est joli, non ? »
(C’est un cours sur le conditionnel.)
Fanny, AESH, me regarde, à peu près autant au bout de sa vie que moi, et remarque : « Lundi, H2. Ressenti : vendredi, H9 ».
Et depuis, je t’assure, toute la semaine se traine de H10 en H250.
Alors, du coup, parce que je dois toujours revoir Madame vendredi à 16h (et que putain normalement je ne travaille pas, le vendredi après-midi) et que d’ici là je vais continuer d’affoler cardiologues et psychologues, je vais te raconter des trucs chouettes de ma semaine.
Lundi, j’ai rendu les bacs blancs écrits. Emeline a eu 7/20. Elle me dit : « c’est pas si mal, non, pour une première fois ? Vu qu’on n’avait pas vraiment eu le temps de voir la contraction de texte ?
– Non, j’imagine que c’est pas si mal. Je suis un peu désolée pour toi, quand même, j’aurais voulu te mettre plus, mais ton essai… Utilise tes mots. Sincèrement, je n’ai pas compris grand-chose.
– Nan mais laissez tomber Madame, moi non plus ! Je sais pas ce qui m’a pris, j’ai bugué, moi non plus je ne comprends pas ce que j’ai écrit. »
Et elle a bossé le reste de l’heure, elle qui part de loin, parce que sa vie familiale est compliquée, parce que sa scolarité l’est par ricochet.
Noah, première année de BTS MCO, m’a demandé si j’allais bien et m’a raconté qu’il avait pété son portable. Plus tard, il a essayé de me « vendre » son histoire inachevée, écrite pour un cours précédent, pour des points bonus, et c’était fun, vraiment (et j’espère qu’il va la finir.)
Mardi soir, réunion parents-profs 5e. Déjà le démarrage avait pour moi un côté Fort Boyard, j’avais reçu plusieurs mails de diverses personnes appartenant à ma hiérarchie, desquels il ressortait qu’il ne fallait pas que je croise la connasse. Il avait donc été décidé que je n’arriverais qu’à 16h20 minimum, vu qu’elle avait rendez-vous à 16h, que le prof principal de la classe m’enverrait un texto lorsqu’elle serait partie, et que je passerais par le local photocopieuse, histoire d’être sûrs.
Ce fut fait, je me suis pointée comme une fleur à 16h30.
Mes collègues et moi avons rencontré la maman d’Hugo. Elle m’a dit : « Hugo adore vos cours » et ça m’a fait tellement plaisir, parce que c’est un gosse génial et que je suis pas certaine que ce soit un littéraire, de base. Il est très scolaire, il a besoin de réussir, mais c’est aussi un fan de vélo et de voitures, c’était pas évident qu’on se rencontre.
Ce matin, Gabriel tirait une tête de dix pieds de long, il s’est fait démonter hier soir. C’est probablement mérité, il n’a tellement pas les codes du collège que je peine à croire qu’il ait été scolarisé. Mais c’est un gosse que j’aime beaucoup. Il est épuisant, il ne travaille que si on l’y encourage. Il faut être là, à côté de lui, avancer phrase après phrase, le reconcentrer, le guider. Mais il en veut. Un truc de fou. Il y a quelques temps, j’ai fait une dictée, courte, que la classe a inventée au fur et à mesure, et après ils avaient l’heure pour la relire et la corriger. Et Gabriel m’appelait tout le temps, ça le rendait dingue de savoir qu’il avait fait des erreurs et de ne pas les trouver. J’ai commencé, comme avec les autres, à lui indiquer combien il y en avait. Puis à lui donner le nombre par ligne. Et finalement, on a repris le truc ensemble, avec un autre élève, plus tard. J’ai souligné, j’ai expliqué, il voulait comprendre et ce qui m’a le plus frappée, c’est qu’il sait plein de choses, mais ne se fait absolument pas confiance, du coup il tente au hasard. Et cahin-caha, il a corrigé – tout seul – aidé d’accord, mais je n’ai donné qu’une réponse (il ne connaissait pas l’expression « se rendre compte », il comprenait « se rencontre ») – tout ce que j’avais souligné. Il a eu 8/10.
Alors bien sûr, c’est une évaluation adaptée. Bien sûr, il faudra repartir de presque zéro. Mais ce matin, il s’énervait tout seul en disant que si j’avais été là hier, ça ce serait mieux passé, et quand je lui ai rendu sa note, il était tellement heureux, il m’a demandé si je pouvais écrire un mot en plus pour sa maman, alors j’ai noté soigneusement sur sa copie que c’était le fruit d’un travail sérieux de relecture et de révision de la grammaire, et après ça il a continué de rédiger son journal de bord, toujours aussi volontaire et toujours aussi dispersé.
En 5A je portais le collier que Nola et Zoé m’ont offert, fait mains par elles-mêmes, parce que Nola a pleuré à la rencontre d’hier, que sa vie en ce moment est compliquée et que je voulais qu’elle sache que c’était un cadeau important.
C’était notre dernière heure en classe entière, j’avais zéro énergie, je leur ai fait rédiger des cartes de vœux pour leurs proches. Je suis une personne mesquine, je suis obligée de faire remarquer publiquement que la fille de Madame Connasse a écrit une carte à sa maman et m’a demandé sans mauvais esprit apparent de lui donner la bonne orthographe des mots dont elle n’était pas sûre. Vendredi, je pourrai la revoir en me disant que j’ai contribué à l’écriture d’un joli message d’amour à son égard :)
Victor quant à lui m’a donné une carte dédiée à sa sœur, que j’ai en ST2S, avec la consigne de la lui remettre demain matin et de la lui faire lire en public. Il y est notamment écrit qu’elle devrait être gentille avec moi avant le dernier cours, et même si c’est parfaitement lèche-bottes, ça me fait marrer, donc Joane aura sa carte demain :D