Seuils
« Des fins, des commencements, des entrées, des sorties, et des passages. »
Source.
En janvier j’ai décidé que j’arrêterais de boire. C’est raté, même si ma voix gentille me suggère de notifier que j’ai quand même vachement diminué.
En janvier j’ai recommencé à écrire et je me suis demandé comment j’avais pu oublier que si je ne le faisais plus, c’est en partie faute de lecteurs (je ne parle pas du blog.) J’y ai pourtant pris un plaisir fou. Je crois que j’avais vraiment envie de le partager, et je sais que je ne dois pas en vouloir aux gens d’avoir autre chose à faire que d’accorder leurs violons avec les miens.
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Je me suis offert quatre disques de VNV Nation : Empires, Future Perfect, Matter & Form, Of faith power and glory. Je me les étais promis à l’aube de 2021, ça devait être une récompense, et puis j’ai décidé que je la méritais bien no matter what. J’ai aussi acheté l’avant-dernier Agonoize (Midget Vampire Porn), que j’écoute en boucle dans ma voiture en bénissant l’humanité de me sentir de temps en temps si connectée. Ça a été la croix et la bannière de me procurer ces disques à des prix décents, genre VNV ne réédite pas les siens. Genre je suis vieille et les skeuds c’est so 2000.
♠ Succès déverrouillé : rencontrer votre premier complotiste !
Eh bah vous me croirez ou pas, mais mon complotiste, c’est mon collègue d’Histoire-Géo. J’ai perdu environ 90% de ma foi restante envers l’humanité. Bonne joueuse, j’ai quand même été consulter la seule source d’information « fiable » selon ses dires qu’il ait bien voulu m’indiquer. Notre dialogue, à ce moment-là, ressemblait à ça :
« Va te renseigner, tu verras, tes certitudes vont vaciller.
– Mais où ?
– Cherche.
– Nan mais, B., indique-moi des sources. Sinon je fais quoi ? Je cherche « informations alternatives » sur le dark web ?
– On ne se connaît pas assez pour que je te cite mes sources.
(moi, dans ma tête : « nan mais je te demande pas l’adresse de ton journal intime ! ») En vrai, j’ai dit : Écoute, je vais quand même pas croire le premier blogueur venu. Si t’as des infos, j’ai envie de les consulter, mais je dois faire confiance à ceux qui les propagent. J’y connais rien, moi, en sciences. Mais je le sais. Donc, je vais écouter des gens qui sont censés savoir de quoi ils parlent.)
– Bon… Y’a un site dont je peux te parler. C’est Le Courrier des Stratèges. Le mec, c’est un grand intellectuel. Tu verras plus le monde pareil. »
Le grand intellectuel en question, c’est Éric Verhaeghe, « entrepreneur et blogueur ». Oui mais, il a fait l’ENA ! (Nicolas Dupont-Aignant aussi… Ainsi que Valérie Pécresse… entre autres, hein…) Je dois reconnaître que la plupart des articles signés de sa plume sont payants, mais selon Conspiracy Watch (ok, mon avis est biaisé), qui cite ses sources, le mec a dit : « la pandémie est l’occasion de faire passer plus vite le business de la transition écologique et de toute cette organisation sociale où tout le monde surveillera tout le monde pour être sûr qu’il ne commette pas d’écocide. […] »
Bah mon vieux, si j’avais su le gouvernement si engagé dans l’écologie, j’aurais peut-être revu mon jugement sur sa politique en la matière.
Bref. Mon collègue ne croit pas aux fact-chekings parce qu’ils sont opérés par des journalistes à la solde du Grand Capital. Et il enseigne l’Histoire-Géo à mes cinquièmes. Toooout va bien.
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Cette semaine, je suis passée à deux doigts de pleurer tous les matins. Je me suis levée, j’ai préparé mon thé et je me suis recouchée. J’ai ricané devant le titre d’un article du Monde, qui écrivait peu ou prou « L’éco-anxiété ou la peur de la fin du monde. » Si la phobie est une peur irraisonnée, « l’éco-anxiété » n’a rien d’une maladie. Elle est parfaitement fondée. De toute évidence, le monde tel que nous le connaissons touche à sa fin.
Cette même semaine, j’ai lu les « Carpe Diem » que j’avais demandés à mes élèves de seconde au mois de décembre.
« Pour rien au monde je ne veux que tu oublies le bonheur que te procures cette fille. Pour rien au monde je ne veux que tu oublies cette force qu’elle te donne chaque jour et le bien-être que tu ressens quand tu plonges son regard dans ses yeux. »
« Alors rien qu’une seconde, je vous en supplie, oublions ce mot de six lettres et concentrons-nous, sur le moment présent, en se posant une toute nouvelle question : que veux-je faire, si je décède demain ? Moi, ce que je voudrais faire, c’est partir, partir loin de cette salle de permanence, dans laquelle j’écris actuellement. Je veux prendre mon carnet et écrire devant un coucher de soleil. Je voudrais troquer ce silence de plomb contre le bruit des vagues cognant sur la roche. Troquer la compagnie de cette dame au pull rouge, qui du haut de son estrade essaye de se donner un air dominant, contre celle d’un amour pur. (…) Mais je veux apprendre, apprendre à profiter de chaque instant, même les plus compliqués, je veux apprendre à profiter de ce moment de permanence qui me paraissait si ennuyeux au début de mon récit (…) »
« On m’a demandé d’écrire sur ce qui donnait un sens à ma vie, ce qui me motive. On m’a demandé d’écrire pourquoi je me lève et je me couche chaque matin et chaque soir. On m’a demandé… On m’a demandé beaucoup de choses. On m’a demandé d’apprendre, d’être gentille, de respecter, de grandir, de penser, d’être jolie, de bien me tenir, de ne pas parler la bouche pleine…
STOP !… »
« Le plus important de tous [mes objectifs] est le plus dur
Mais ne t’inquiète pas la peur se bat à l’usure
Notre père nous a donné le flambeau.
Alors saute et fais cette photo. »
« Garde cette différence en toi.
Souviens-toi de cette différence,
Souviens-toi de ce qui te rend unique,
Souviens-toi que chez toi tu es comme les autres.
J’espère que tu te souviendras de moi. »
J’ai pas le droit de reproduire leurs textes. Peut-être que je leur en parlerai. Mais…
Merci. Merci d’avoir entrouvert ces portes sur vos vies privées. Merci de m’avoir fait assez confiance pour écrire ça. Merci d’être là, et de me donner envie de me lever le matin. Merci de votre gentillesse, de vos questions, de votre enthousiasme. Merci, Mathilde, de m’avoir fait lire Novecento. Merci, Manon, d’avoir laissé transparaître ta rancune envers une de mes collègues. Ta confiance et ta rage m’honorent. Merci, Maël, d’avoir écrit dans une copie par ailleurs sibylline : « le temps est un passeur qui porte le fardeau de nos douleurs. »
Merci, putain, d’exister, de me redonner foi en l’humanité, de me rappeler qui j’étais, de valider qui je suis et de me donner l’envie d’être encore.
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Janvier file et défie la chronologie. Une semaine c’était hier, hier c’est demain et pourtant chaque jour qui se présente à moi j’arque le dos et m’enroule dans ma coquille à reculons. Je ne veux plus y aller, j’ai plus l’énergie, je veux m’échouer à contre-sens, nez à nez avec les baleines. J’ai envie que quelqu’un me chuchote que je suis vivante et que tout ça va quelque part.
Je dois aller voir la mer.
Je devrais faire du sport. Je devrais lever le museau, respirer l’air frais comme un chien bien éduqué, m’asseoir les fesses en cœur devant des crépuscules éblouissants et trouver – il serait temps – un sens à ma vie. Mais moi je ne vois qu’absurdité. Je ne trouve aucun réconfort dans ma finitude, et il n’y a que la solitude qui me réponde quand j’interpelle je ne sais qui à travers l’infini. J’aime m’éteindre dans mes semi-comas éthyliques. J’y suis bien, je m’y sens bercée. Je suis, il est vrai, à ce point égocentrée que je préfère m’anéantir que de reconnaitre que je ne suis rien.
Je ne sais plus ce que je dois à la fatigue (que j’ai très bien su m’infliger toute seule) ou à la réalité. Je ne sais plus si j’ai inventé la sensation un peu vertigineuse de n’être plus tout à fait là après avoir déjeuné seule sur une « grande » place de Saint-Brieuc. Je voulais rejoindre un endroit clos parce que chemin faisant, j’avais l’impression de me réveiller au milieu de nulle-part, tout en sachant ce que je faisais là. C’était une sensation bizarre qui me donnait l’impression de passer à côté de moi-même par soubresauts.
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Je suis donc allée à Binic parce que j’étouffais entre de grands espaces artificiels, circonscrits mais pleins de monde, et la quiétude devenue un tantinet obsédante de mon foyer.
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Déjà le 28. Je cherche comment finir ce billet, je cherche le courage de me lancer dans un récap’ culturel et artistique, pour me rappeler que janvier fut aussi musical, qu’il y a eu un chouette film, des émissions radio riches en émotion, et que mes secondes m’ont aujourd’hui encore collé un sourire ému.
Mais je rentre des Portes Ouvertes, je suis arrivée chez moi à 20h et des poussières, j’y retourne demain de 13 à 18, je suis crevée, alors je vais juste fermer les volets et aller arpenter Bordeciel.
3 commentaires
Ces citations de tes élèves sont si fortes, peut-être car elles ne sont pas tout à fait voilées, pas tout à fait éteintes. Qui d’entre nous adultes s’exprime encore ainsi sans honte ? Au mieux trouvera-t-on cela attendrissant de la part d’un ado… je me demande toujours quel a été le moment pour moi où j’ai basculé de l’un à l’autre, et je le regrette souvent sans avoir les couilles de tendre la main en arrière. C’est peut-être pour cela que j’aime tant ton blog, parce que j’y trouve cette assumation, cette honnêteté du soi qui manque de plus en plus autour de et en moi. Puisqu’on tourne beaucoup autour de la question du sens ces temps-ci, sache que ceci est un sens important que je trouve dans mon rapport à toi.
Merci, ça me touche beaucoup <3
Non. Non, tu n’es pas rien, non tu ne DEVRAIS pas faire quoi que ce soit. Tu es quelqu’un, parce que tu permets / encourages ces jeunes à écrire ces mots et qu’en les écrivant justement, ces mots très forts, ils te disent qu’à leurs yeux tu existes à tel point qu’ils se sentent assez libres pour écrire. Tu n’es pas juste le témoin de leur sentiment d’existence, tu y prends part en tant qu’actrice.
Et je suis d’accord avec Eliness lorsqu’elle aborde ce rapport à la vitalité (au Vif dirait Damasio) présent chez ces jeunes, que la plupart des adultes, moi compris, avons pu perdre – mais que toi tu exprimes dans tes écrits.