Sidération
Un autre témoignage à vif sans doute voué à disparaître.
Vendredi 13 décembre, 23h59
Ce qu’il s’est passé : l’élève me dit qu’il ne comprend pas ma façon de faire, que la méthode lui échappe de même que la structure du cours. Je suis un peu étonnée et je réponds : « je fournis un sommaire en début de séquence, les séances dédiées spécifiquement à l’EAF y sont clairement identifiées, ainsi donc que les textes à travailler pour l’oral. » La mère me fait répéter, « donc c’est bien indiqué, il y a un sommaire.
– Oui…
(le fils) – Ce n’est pas clair.
(moi) Je ne comprends pas, qu’est-ce qui n’est pas clair ? Par ailleurs, quand j’ai envoyé les corrigés, je vous ai expliqué comment vous les approprier, comment vous pouviez les retravailler à votre sauce.
(le fils) Et pourquoi on ne les travaille pas en classe, ces textes ?
(moi, de plus en plus confuse) Mais… On les a travaillés en classe. Simplement je n’ai pas voulu vous jeter dans le grand bain tout de suite, on a construit la méthode par briques : d’abord le recueil de vos impressions de lecture, puis le cours théorique sur ce qu’était l’analyse linéaire, ensuite ce qu’on devait y étudier (le cours sur les figures de style), enfin la construction du plan. Cette fois j’ai fourni les corrigés pour que vous puissiez appréhender la structure attendue, maintenant vous allez procéder pour la première fois à une analyse de manière autonome.
(le fils) Et vous avez bien dit que vous ne fourniriez plus de corrigés si on ne bossait pas en classe ?
– En effet.
(sourire mauvais)
– Quel est le problème ? Tu as bien affirmé que tu bossais, tu as de bonnes notes en plus.
– Madame, je vous ai posé une question respectueuse.
– Oui, tout à fait, mais…
(la mère) Mon fils a raison, je vous trouve extrêmement agressive, votre attitude est inadmissible et me révolte. Mon fils vous pose des questions auxquelles vous répondez avec une arrogance incroyable.
(moi) … Je vous présente mes excuses si c’est l’impression que je donne, ce n’était pas mon intention, mais j’avoue que je ne comprends pas… (à ce moment-là je tremble déjà de tous mes membres.)
(le fils) On est nombreux à se poser ces questions-là.
– Je ne comprends pas, je m’entends bien avec la classe…
(il m’interrompt avec son sourire mauvais et triomphant) Oh non.
Et je ne savais plus quoi faire ni de mes mains que je tenais jointes, ni de ma voix qui vacillait devant l’absurdité des reproches qui m’étaient adressés, enfin, des reproches, je n’ai toujours pas compris sur quoi ils portaient, puisque l’élève en question a de bonnes notes, y compris à l’oral blanc évalué par un collègue, donc la méthode est acquise ; ni devant la médisance satisfaite qu’ils véhiculaient, puisque j’ai reçu parents et élèves toute la soirée sans heurts, y compris encore une fois Ilwon et sa maman qui m’ont tous deux remerciés pour mes conseils et ma présence, et puisque mes élèves ont réussi le bac blanc et toutes les évaluations et que ceux qui ont échoué me l’ont avoué d’eux-mêmes : non je n’avais pas lu le livre, oui j’ai perdu mes moyens, bref je ne sais pas, j’étais pas en face de gens perdus ou dans le déni, pas en face de gens qui travaillaient comme des dingues pour des résultats trop faibles comme on peut en voir, et ma question demeure pourquoi une telle malveillance, pourquoi véhiculer l’idée que je suis une merde et que je m’entends mal avec la classe alors qu’enfin putain ça fait onze ou douze ans que j’enseigne, je sais bien quand ça passe pas avec une classe, ça se voit bordel, ils font front contre toi, alors que là c’est une des classes où je préfère aller, ce matin encore j’étais hyper contente du travail produit, ça tourne, ça percute, je le leur dis à chaque fois, quel plaisir, c’est du bon boulot, vous allez tout défoncer.
Et qu’est-ce que je peux faire de plus clair qu’un sommaire qui indique les objectifs poursuivis, des cours magistraux pour les indispensables notions théoriques et des exercices pratiques (qu’A. ne réalise jamais), qu’est-ce que je peux faire différemment que de construire les compétences requises petit à petit, et depuis quand fournir des corrigés me revient dans la gueule comme un boomerang alors que d’habitude on nous reproche de ne pas le faire ? Et encore une fois pourquoi ça vient d’un sale connard qui ne moufte pas, ne fait rien, ne pose pas de questions, attend précisément que je donne les réponses, et pourquoi tient-il tant à me démolir ?
De tout ça c’est sa malveillance visible et jubilante que je revois, et ce que je ressasse c’est l’absurdité du discours : j’ai présenté mes excuses, j’ai concédé ne pas comprendre, mais en face, la réponse était invariablement la même, alors forcément au bout d’un moment tu ne sais plus quoi dire. La mère était un couteau, le fils un poison, ils sont partis extrêmement fier d’eux, et moi tout ce que j’ai réussi à faire, après avoir demandé à ma collègue « mais putain qu’est-ce qu’il vient de se passer », c’est aller voir ma directrice adjointe (non avant j’ai parlé à une autre collègue dont l’empathie m’a sauvée) et de lui dire « Stephie… Madame Q, je suis désolée, à la réunion parents-profs 5e, je ne la recevrai pas, je ne peux pas ». Et là seulement j’ai fondu en larmes.
Et à 00h45 je suis toujours là, entre larmes sidération et fureur, à poster ce billet parce qu’il faut que je les partage une énième fois avant de pouvoir envisager dormir. Une chose me semble sûre – enfin, deux : un, je ne peux pas continuer de me laisser bouffer comme ça. Deux : des gens capables de t’infliger ça et de repartir satisfaits d’eux-mêmes ne méritent aucun pardon.
8 commentaires
Ton histoire me rappelle une collègue qui a fondu en larmes devant moi car elle n’arrivait pas à gérer l’incohérence émotionnelle de son supérieur hiérarchique – qui selon moi prenait un malin plaisir à la torturer alors qu’elle voulait juste faire du bon travail. Je lui ai alors partagé que vu la quantité de gens dans la boîte (on parle de centaines voire milliers de personnes), statistiquement parlant il semble normal d’en avoir qui n’ont pas de bonnes intentions. C’est horrible mais mathématique. (Le gars en question n’est plus là depuis et ma collègue va bien mieux).
Je partage cette anecdote car j’ai la même réflexion : vu tous les gens que tu croises dans ta carrière, statistiquement… Ça me parait normal que tu en aies des inexpliquables voire malveillants. Et ce n’est pas personnel. Ce constat ne facilite pas leur gestion, mais ça remet en perspective leur importance.
Je suis désolée que leur toxicité ait taché toutes les autres belles et constructives interactions que tu as pu avoir. Ces personnes sont détestables et se nourrissent de la bonne volonté d’autrui. Ne les laisse pas gagner dans ta tête, ils ne méritent pas davantage de ton énergie <3
Mise à jour : elle a envoyé un message long comme le bras (ce n’est pas une hyperbole !) à moi-même et ma direction, dont la conclusion était que sans nouvelle rencontre, durant laquelle il lui serait difficile de m’aider à la hauteur de mes besoins car elle n’est pas prof (!) elle se verrait dans l’obligation de contacter l’inspection académique et le médecin scolaire, car la détresse psychologique de la première st2s, devant mes discriminations et ma rigidité, ne pouvait être ignorée.
Je suis tout à fait d’accord avec ce que tu dis… Mais ces gens possèdent un véritable pouvoir de nuisance. Loin d’être aussi puissant que ce qu’ils croient, évidemment, ma hiérarchie me soutient. Il n’empêche que je vais devoir assister à une nouvelle entrevue avec elle…
Je suis sidérée, autant par le premier texte que la suite… mais qu’est-ce qui passe par la tête des gens pour avoir un tel degré de nuisance.. je suis navrée de ce qu’il t’arrive, et plussoie les mots laissés avant moi : aucune rencontre seule avec cette personne, sois accompagnée.
Pensées douces pour toi..
Je ne te cache pas que j’en ai été malade, à deux doigts de demander un arrêt devant l’angoisse que ça a généré. Je ne l’ai pas fait parce que je voulais que son fils me voie aussi normale et épanouie que d’habitude en cours, je ne voulais pas qu’il gagne :P
J’ai rendez-vous avec elle vendredi à 16h, je serai accompagnée du directeur et de la directrice adjoints, et si elle pense arriver dans un tribunal je pense qu’elle va bien déchanter.
J’ai relu son mail, et ce qui me sidère, c’est le naturel avec lequel elle explique que je ne suis pas ouverte à la collaboration pour améliorer ma pédagogie. Non, en effet, je ne le suis pas, d’où je devrais prendre des conseils d’un élève et de sa mère, menteurs de surcroît ? J’ai été inspectée l’année dernière et ça s’est super bien passé !
Quelqu’un dans l’établissement m’a dit : « si elle n’est pas contente, qu’elle dégage, cette connasse, t’es super » et je dois dire que de tous les soutiens que j’ai reçus, c’est mon préféré tant il était brut de décoffrage :D
PS sans rapport : je ne snobe pas ma petite sœur ni son commentaire en dessous, je lui ai répondu par Telegram :P Ma sœur est géniale ♥
Alors ça va pas être facile à faire (et j’écris peut-être ce message trop tard), mais j’ai déjà eu affaire à quelqu’un qui détournait mes propos pour me faire du mal et qui m’a fait me sentir comme une merde. Je crois pas que y ait une bonne façon de vivre ça, mais Eliness a raison, et tu le dis toi-même en fin de message : on ne peut pas se permettre de se laisser bouffer par des personnes mal intentionnées. Ce qui fait le plus mal je pense c’est de ressasser dans ta tête ce que tu as bien pu faire de mal. Je pense que c’est surtout là dessus qu’il faut agir tout de suite : tu n’as rien fait de mal. Tes tentatives pour désamorcer et t’excuser ont été ignorées, ça suffit à dire que tu n’as pas à porter la responsabilité de la situation. Si c’est possible, je te conseillerais de te faire accompagner par une personne de confiance de l »établissement si tu dois revoir cette dame. Et vois ça avec bcp de recul : une chieuse à gérer. Ne la laisse pas te remettre en question, tu le fais déjà assez toi-même. Tes collègues, ta direction et tes élèves t’apprécient, c’est ça qui compte vraiment, et tu le sais au fond de toi. Bon courage !
[…] toute la semaine se traine de H10 en H250. Alors, du coup, parce que je dois toujours revoir Madame vendredi à 16h (et que putain normalement je ne travaille pas, le vendredi après-midi) et que […]
O_o alors là… j’hallucine, j’arrive avec beaucoup de retard sur cette histoire et j’espère que les choses se sont bien terminées, mais je ne peux pas croire ce que je lis, surtout après avoir lu ton article précédent où justement je loue ton attention face aux élèves. Je suis d’accord avec tous les commentaires.
Et je rejoins Eliness, vu le nombre d’humains, le nombre de personnes que l’on croise, certains sont malveillants. Point. Ils sont juste là pour être malveillants, peu importe qui est en face.
J’espère qu’elle a passé un mauvais quart d’heure lors de votre dernière rencontre !
Elle a… fait comme si elle n’avait pas proféré des horreurs, et s’est gentiment tue parce que devant deux directeurs adjoints, son môme n’avait bizarrement plus grand-chose à me reprocher. Ma directrice notamment a été extra, toute en ironie, l’air de rien, je pense que ça les a bien déstabilisés.
Elle m’a présenté des excuses, ce qui ne lui a pas coûté grand-chose comparé à ce qu’elle m’a fait traverser, mais je prends :)
Merci infiniment pour ton soutien ♥