Spicilège #2
Trois films, une série, cinq livres, et de la musique récente, pour changer.
Trois films
Catché le dernier jour de sa présence sur Netflix, putain j’aime tellement ce film, j’avais prévu d’en dire plein de choses intelligentes.
Possum – Réalisé par Matthew Holness – 2018. ♥♥♥
Un homme revient sur les lieux de son enfance. Il porte un sac en cuir, dont il aimerait se débarrasser – mais il n’y parvient pas.
J’ai adoré Possum, la fin m’a bluffée. On s’y oriente comme dans un cauchemar et la comptine associée à Possum est magnifiquement glauque et creepy. L’ambiguïté des émotions, le jeu absolument incroyable de Sean Harris, tout m’a convaincue.
Isolation – Réalisé par Billy O’Brien – 2005. ♥
J’ai ajouté le film à ma liste parce qu’il était décrit par Shadowz comme un « Alien à la ferme », et je l’ai vu parce que Malo’ m’a dit qu’il était bien. Elle m’avait avertie qu’il était potentiellement choquant, mais en fait, ça va. Le pire est suggéré – par contre, on voit des entrailles de vache. Donc, ça raconte comment un fermier et deux fugitifs se retrouvent confrontés à un embryon pas normal du tout (du genre beaucoup trop vivant et avec des dents.) Je rejoins Maloriel sur le fait que ce film possède un sous-texte social qui le distingue de la plupart des productions du genre, et le rend d’autant plus intéressant. Et c’est aussi avec Sean Harris !
Une série
L’écriture des personnages m’a bluffée. D’une série dont le féminisme m’avait paru un peu artificiel, je suis passée à un ovni qui a dézingué toutes mes opinions au fur et à mesure qu’elle les construisait. Tout le temps. Tu exècres un personnage, tu te prend de pitié pour lui, tu le hais de nouveau, tu sais plus où t’en es. J’avais pas ressenti ça depuis Breaking Bad, et je trouve Sky Rojo plus subtile, c’est dire.
Des livres
Hiroko Oyamada (traduit par Silvain Chupin) – L’usine ♥
Franck, qui voulait m’offrir un livre, a demandé à la libraire un roman « onirique et vaporeux ». Elle lui a proposé celui-ci. Il a été sceptique.
Bah il pouvait !
Alors, faut pas se méprendre, j’ai beaucoup aimé. Il faut juste remplacer « onirique » par « kafkaïen », « vaporeux » à la limite tu peux le garder. Dans L’Usine, tu perds très vite tes repères. Trois récits s’entremêlent, tous à la première personne, et la temporalité devient confuse. Les personnages ont tous rejoint ladite usine dans des circonstances assez absurdes, leur boulot l’est encore plus, et la présence de cormorans noirs, et d’énormes ragondins, et de lézards qui vivent dans les sèche-linges, confère à l’environnement un on-ne-sait-quoi de bizarre. L’usine raconte l’alinéation quotidienne avec une tranquillité désarmante. J’ai pensé à Bret Easton Ellis à cause des repas, mais tu peux lire Hiroko Oyamada sans craindre de rendre le tien, elle est bien plus poétique et évanescente.
Laurent Kloetzer – Vostok ♥
J’ai beaucoup aimé Vostok, la raison principale étant que c’est vachement bien écrit. Je sais que c’est une remarque débile, mais la SF m’a souvent paru écrite dans un style aride, en tout cas c’est l’impression que j’en ai gardée, même si à la relecture Philip K. Dick était plus subtil que dans mon souvenir.
En gros : à part Bradbury (que j’adule), les écrivains de SF me laissent froide, y compris ceux qui, quand ils s’adonnent à d’autres genres, m’émeuvent.
Donc, Vostok. Très honnêtement, je n’ai pas tout compris, et je pense que c’est en partie lié à la part très premier degré de mon cerveau, selon laquelle les pactes autobiographique et romanesque sont inaliénables. J’ai sincèrement cru que les extraits du livre de Veronika étaient réels, puisqu’ils étaient présentés comme tels, et ça m’a complètement perturbée de devoir en douter. Mais bref : un roman très différent de ce dont j’ai l’habitude, parce que je ne suis pas si familière de SF. Ce roman se situe dans un futur proche, dans un monde qu’il m’a semblé reconnaître, et met en scène des personnages auxquels j’ai crus. J’ai aimé l’histoire, et j’ai aimé le style, poétique et précis.
Emmanuel Carrère – Yoga ♥♥ et Philippe Labro – J’irai nager dans plus de rivières 😠
Carrère raconte comment il a voulu écrire un petit livre sympa sur le yoga, et ce qu’il avait envie de transmettre à ce sujet. Puis arrive la dépression, d’une intensité qui rase tout. Ce que j’ai adoré, c’est qu’il n’y a aucune suffisance chez Carrère, et même au contraire beaucoup d’humilité.
Tout l’inverse de Labro, qui d’une part écrit mal, multipliant les phrases averbales et les remarques sentencieuses mais dépourvues de fond, et qui d’autre part se complait dans l’énumération des personnalités qu’il a côtoyées. C’est bien simple, il ne connaît personne qui ne soit pas célèbre, à l’exception de sa femme, dont la seule chose qu’il ait à dire c’est qu’elle est venue à lui pour le sauver.
Carrère touche à l’universel, je crois, parce qu’il se livre. Il esthétise, il romance parfois, parce que c’est un écrivain. Mais ce qu’il partage au final, c’est une expérience personnelle, un regard, des interrogations. On peut s’y retrouver (ça a été mon cas) ou pas, mais ça suscite réflexion, on en sort grandi d’avoir pu écouter un autre que soi.
Labro quant à lui publie un texte absolument décousu (il est même obligé de nous l’écrire en toutes lettres, que ce n’est pas un hasard si telle partie succède à telle autre.) Il a relu ses petits carnets Moleskine, s’est trouvé très intelligent, et nous abreuve d’un long chapelet de citations : car oui, la moitié du livre est constitué de phrases qu’il n’a pas écrites. Sinon, il dit des choses ma foi terriblement profondes. Par exemple : « Gainsbourg (…) inventait à partir de ce qui avait existé. C’est le propre de tout grand artiste. Picasso l’a démontré mieux que personne. » Ou alors, il fait des listes de gens ou d’œuvres à son avis exceptionnels. Je te rassure, aucune prise de risque, il écrit des trucs comme « Rosa Parks, l’héroïne par excellence » et cite pêle-mêle tous les gens hyper connus qui lui viennent à l’esprit. Tout son bouquin consiste à enfoncer des portes ouvertes à grands coups de bottes de cow-boy (il est tellement fier de sa période américaine, il fallait que je recase ses bottes.)
« Un moment tranquille, comme ça, un moment que je pourrais simplement vivre, je ne peux jamais vraiment le vivre, jamais y être présent, tout simplement présent, parce qu’aussitôt se manifeste le besoin de le mettre en mots. Je n’ai pas d’accès direct à l’expérience, il faut toujours que je mette des mots dessus. Je ne dis pas que c’est mal. C’est ma raison d’être sur terre et c’est une grande chance, je ne vais pas m’en plaindre, d’avoir ce qu’on appelle une vocation. Mais comme ce serait bien, tout de même, comme ce serait reposant, quel immense progrès ce serait de faire moins de phrases et de voir davantage.
(…)
Je suis un homme narcissique, instable, encombré par l’obsession d’être un grand écrivain. Mais c’est mon lot, c’est mon bagage, il faut travailler avec le matériel existant et c’est dans la peau de ce bonhomme-là que je dois faire la traversée. »
Emmanuel Carrère, Yoga, p157-158.
Jørn Lier Horst (traduit par Céline Romand-Monnier) – Le code de Katharina ♥
Voilà un polar à l’opposé de ceux que je lis d’habitude. L’histoire et les personnages sont banals, le rythme mesuré et les chapitres ne s’achèvent pas sur des cliffhangers à couper le souffle. Et pourtant, on ne veut pas le lâcher, ce bouquin. L’auteur crée une tension qui vient de la lenteur. On croit à ses personnages, on les voit, on finit par leur trouver une familiarité. Ils prennent leur temps, ils réfléchissent.
On connaît l’identité du principal suspect dès le début du roman. L’enjeu sera de le faire avouer, mais est-ce bien lui le coupable ? Pourquoi ? Comment ? Quels sont les liens entre les deux affaires qu’on nous présente ? Il y a une scène, dans le dernier quart du livre, qui m’a bluffée parce qu’elle instillait une inquiétude, une attente, alors qu’il ne s’y passe rien du tout !
De la musique
Une ou deux semaines avant les vacances, Nostalgie ou Océane, je ne sais plus, nous a annoncé à 7h du mat’, l’air de rien : « y’a un nouveau Depeche Mode, il sera disponible à 10h, on vous passe les dix premières secondes. » PARDON ???
Je l’ai finalement entendu chez le coiffeur, dix jours plus tard (oui c’était super comme contexte), et la mélancolie que ça m’a collé vaut bien tous les discours sur mon mois de février.
Je n’ai pas écouté l’original, je ne veux pas écouter l’original, j’aime beaucoup le nouveau single de Mylène Farmer remixé par Vitalic.
J’ai hésité : je le mets avant, après Mylène Farmer ? Sur quoi je veux finir ?
Sur ça, évidemment.
We dared eternity and won
Long before the rain had come
We built a universe
We held a cosmos in our hands
Unstoppable force, the purest light
To set the firmament alight
We built a universe
So we could hold the cosmos in our hands
3 commentaires
Bon ok je connais aucun film ni aucun livre de ton article… mais quelques-uns me donnent envie et m’intriguent. Et merci pour la prévention, je vais éviter Philippe Labro !
ouais, je pense que tu peux zapper Labro, parfois je me dis « c’est juste pas pour moi », mais là je pense que c’est juste pour personne. Je serais curieuse d’échanger si tu lis ou regardes les trucs qui t’ont intriguée !
J’espère avoir le temps de m’intéresser à Emmanuel Carrère, plusieurs de ses livres sont dispos à la médiathèque, reste à trouver le temps ;)