Vacances
Un peu de silence.
Lundi 5 août.
Le coffre est plein, il ne fait pas très beau et la route se déroule devant nous. C’est moi qui conduis, car je m’en sais capable, au moins jusqu’à Pontivy : la dernière fois que j’y suis passée, mon cerveau est entré en mode panique à peine franchis les pointillés marquant l’entrée de la rocade. Ce même cerveau qui m’a permis ensuite de rouler sans encombre sur la route à 110, pas moins fréquentée, qui mène de Pontivy à Locminé. Va comprendre.
Nous nous arrêtons une heure plus tard : Ubik m’emmène déjeuner dans le resto ouvrier qui a définitivement conquis ses faveurs depuis qu’il fait le trajet Guingamp-Plescop toutes les semaines. Je vais très bien, même si j’ai senti les pattes griffues d’Angoisse tenter de lui frayer un chemin hors de moi à plusieurs reprises. Le resto est vide en cette période de vacances ; nous nous installons en terrasse. La rue est calme, le ciel vire à l’opalin. D’où je suis assise, j’aperçois les massifs d’hortensia qui parsèment le jardin d’en face. Et derrière moi, autour de moi, me cernant, m’enserrant, Angoisse, qui s’élève dans toute sa splendeur.
Elle a des doigts plantés dans mon cœur qu’elle fait battre trop fort, trop vite, des doigts dans mes cheveux qui me tirent en arrière – je sens que je bascule, une fois, deux fois, et mes pensées s’entrechoquent, je n’arrive pas bien à me concentrer sur ce que dit Ubik, ni à lui répondre, occupée que je suis à me dépêtrer de ce que je reconnais comme des illusions, mais dont les manifestations bien trop concrètes s’entretiennent d’elles-mêmes. Alors je cède, sans avoir véritablement, ardemment lutté. J’ai trop le souvenir des vacances de l’année dernière, gâchées et écourtées. Je gobe un Xanax. L’effet est presque immédiat, me paraît trop rapide après coup pour ne pas m’interroger sur un possible effet placebo, sur un trick mental qui piège Angoisse en la faisant se croire défaite. L’effet perdure longtemps, sur deux jours en fait, ni batailles ni failles rouvertes. Qu’est-ce que ça rééquilibre en moi ?
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Mardi 6 août 2024, vers 10h20.
Réveil très doux, et très lent, dans une petite maison sur l’île de Ré. Impossible de vraiment savoir le temps, et encore moins l’heure, avant d’avoir ouvert les volets, les mêmes que chez Mamie. Ça berce quelque chose à l’intérieur, cette ressouvenance. Le soir, je m’endormirai en m’imaginant sans effort dans la chambre à Sanary, dans la quiétude et la confiance totales offertes par ma mamie.
Je prends mon café dehors, sur la terrasse. Ça aussi, c’est la preuve que les vacances ont commencé. Qu’on est bien, lovés dans un paysage différent, sous des ciels d’un bleu pas breton. N’était-ce le bébé des voisins, tout serait très calme. Enfin, il n’est pas si pénible.
J’écoute une autre voisine dresser un plan d’action de la journée après que fiston ait remarqué qu’ « on ne peut jamais se reposer, le premier jour des vacances. » Je souris d’avoir souvent fait le même constat. Les garçons sont autorisés à aller jouer à la pétanque et cet après-midi, ce sera plage.
De mon côté, je savoure de m’être autorisée pour la première fois à emporter TOUT ce que j’estimais nécessaire, ce qui inclut cinq paires de chaussures et des fringues pour huit jours, afin d’être équipée quelles que soient la météo ou les activités choisies, et l’ensemble de mes cosmétiques pour pouvoir suivre la routine qui me fait me sentir bien. C’est ça, ma vision du luxe.
Je crois qu’aujourd’hui, on ne va rien faire qui implique de prendre la voiture : zéro stress et que de la lenteur. Mon seul objectif, c’est d’aller acheter des cartes postales. Je crois qu’il n’y a rien qui pourrait me faire me sentir plus en vacances que de rédiger ces petits polaroids en mots à l’attention de mes personnes préférées – ça, et acheter un panier en osier pour les affaires de plage.
Pas du tout d’accord avec ce qu’écrit Morizot page 23, même si j’imagine que c’est vrai pour un très grand nombre de personnes : « la campagne un soir d’été » m’est tout sauf « un lieu vide de présences réelles, et muet ». C’est bien ce qui me la rend si apaisante, de me retrouver au milieu de ce tout immense. C’est pour ça que je suis si heureuse de partager ma courette avec un lézard.
Finalement, nous avons pris la voiture : il faut que j’arrête de projeter mes insécurités sur Ubik, que ça ne dérangeait pas. Le centre-ville de Sainte-Marie-de-Ré était quasi-désert et écrasé de chaleur. Impression de torpeur, ou de tranquillité ? C’était beau. Au retour, nous sommes allés nager, la plage était à dix minutes.
Mercredi 7 août, à l’heure de l’apéro.
Après une très mauvaise nuit (nous avons trop bu, c’est sûr, et les voisins trop bruyants n’ont pas aidé), j’ai pris un solide petit-déjeuner arrosé de thé vert qui m’a fait beaucoup de bien, et nous avons sillonné notre bout d’île à la recherche d’une borne de recharge (en vain.) Nous sommes donc retournés nous baigner sur la plage pleine de cailloux et d’algues – mais nous sommes équipés, nous, on ne nous prend pas au dépourvu ! (nous possédons des sandales en plastique. Esthétiquement, c’est pas mieux que des crocs. Joie dérisoire et patente d’avoir quitté l’âge de l’obsession de l’apparence.) J’ai fini d’écrire mes cartes postales, donc nouvelle mission, trouver une boîte aux lettres.
Jeudi 8 août, 17h45
Très belle journée, passée à sillonner l’île à nouveau. Pas de visites à proprement parler car tout nous a paru trop cher.
Mais je reprends au début. D’abord, lever à onze heures, tous les deux bien plus reposés que la veille. Nous petit-déjeunons d’œufs brouillés, de toasts beurrés et d’un yaourt, accompagnés pour ma part d’un café pris au soleil, en poursuivant ma lecture de Manières d’être vivant, qui m’enchante.
Après quoi nous avons retraversé le pont, et tant pis pour les 16€ : il y a une borne de charge rapide à côté d’un KFC. Donc, à quarante balais, j’y mets les pieds pour la première fois. Conclusion : ni leurs burgers ni leurs frites ne sont bons, mais comme j’ai pris un Xanax aux premiers signes de vertiges imminents, je m’en fiche, et je me ficherai d’ailleurs de tout pour le reste de la journée. Pourquoi dans un endroit relativement dépeuplé, pourquoi maintenant et pas après-demain au Macdo où un type furibard agressera verbalement des étudiantes en job saisonnier que je sentirai durablement ébranlées par l’événement ?
Après avoir fait quelques courses, retour à la maison, je m’équipe d’une casquette car je porte mes lunettes de vue et le soleil est éblouissant (je tente à plusieurs reprises de m’observer objectivement dans le miroir et peut-être, je dis bien peut-être que je vais finir par apprécier ma tête avec ces lunettes.)
Cet après-midi, nous avons donc :
– vu le phare des Baleines, de l’extérieur, parce que 4,60€ pour grimper 250 marches en compagnie d’autant de gens (bon, j’exagère peut-être un peu) et avoir le vertige une fois arrivés en haut, ça ne nous emballe pas.
– vu également et toujours de l’extérieur, la Tour Vauban.
– acheté des savons au lait d’ânesse dans une boutique au milieu du pire repère à touristes emprunté depuis des années, qui sentent trop bon et dont le prix nous a semblé tout à fait correct.
– pris la direction de Loix, pour visiter l’atelier où sont fabriqués lesdits savons. Nous sommes tombés sur une librairie de livres anciens et j’ai craqué, complètement craqué pour l’intégrale de Zola, c’était un rendez-vous prévu par l’univers que veux-tu que je te dise, ainsi qu’un Giono, un King et deux pulps.
– pas visité la savonnerie, par flemme d’attendre 20min sous le cagnard et même si pour le coup c’était gratuit.
– pris la route du retour en passant par Saint-Martin-en-Ré pour voir les fortifications de Vauban et constater l’absence totale de médiation culturelle.
Le soir, voir la voie lactée, limpide comme le lit d’une rivière. Les galets blancs de Petit Poucet cosmique me ramènent au rituel proposé par Baptiste Morizot : chaque fois qu’on sale un plat, se rappeler qu’on le fait en mémoire de nos ancêtres des abysses.
Vendredi 9 août
Je suis stressée parce que Ubik m’a proposé de tester un truc dont je lui ai parlé il y a quelques temps et dont je subodore que ça me plairait beaucoup. Ce n’est pas loin, on s’embrouille un peu sur les lieux ou presque (à droite ou à gauche ?), comme toujours il a raison, et nous y voilà. Et bien sûr je ne suis pas la seule à être un peu stressée, ça contredit sans doute plus mon éducation que la sienne, mais quand même, c’est un peu intimidant.
Et puis finalement c’est pas plus difficile que d’écarter un insecte de la main, peut-être que c’est tellement naturel et évident quand on cesse d’y penser que ça revient comme un réflexe. On marche sur le sable, complètement nus, et l’eau nous cueille aux chevilles, elle est… ronde, oui, en revanche sous la surface elle a des dents, des récifs d’huîtres en l’occurrence, qui entravent notre progression et cisaillent sa peau à lui, qu’une vague ballotte. Au-delà l’océan, je nage enfin vers l’horizon, pas loin, les courants sont traîtres, mais qu’importe. Je nage à poil, je jaillis de l’eau à poil, à côté de ces femmes que je trouve belles de simplement les voir tout entières et sans complexes – je me demande même si elles ne fréquentent pas exprès ces lieux, elles que j’ai l’impression de ne jamais voir sur les plages « normales », mais je sais que je me trompe : elles y sont juste plus effacées, plus attentives, comme je le suis. Des couples paressent ici ou là, un homme seul lit un bouquin qui semble relié cuir ; je n’ai jamais vu autant de sexes et de chair délivrés de tout désir (mais pas d’attrait, bien sûr qu’on se regarde.)
L’expérience nous nourrit, longtemps, on en parle une partie de la soirée. Je me sens libre et libérée car l’intuition est devenue certitude. Je n’ai pas eu honte de mon corps, j’ai seulement pris plaisir à m’acquitter, enfin, de la honte, justement. J’ai pu me balader les seins à l’air sans être accusée de les exposer, de chercher, et tiens quand j’y pense, il y a encore de Sanary, là, et des « grosses dames » sur la plage avec leur bijoux en or et leurs seins pendants, qui ne choquaient personne quand j’avais dix ans.
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Samedi 10 et dimanche 11 août
Décidé hier ou avant-hier, je ne sais plus, nous ferons une pause sur la route du retour : « le plus grand jardin japonais d’Europe » se trouve à côté de Cholet, et tant qu’à faire, pourquoi ne pas nous arrêter à Angers chez BBM, c’est juste à côté ?
Il fait chaud, c’est le début d’une nouvelle canicule, mais ça reste supportable tant qu’on reste sous les arbres. L’entrée du parc est trop chère, 9€50 par personne, mais c’est beau, vraiment, et pas trop fréquenté en ce jour de chassé-croisé.
Au salon, nous buvons du thé excellent, sakura et pivoine pour moi, sensha pour monsieur, et à-droite-derrière-lui il y a un type qui ressemble tellement à Arthur, ça me perturbe jusqu’à ce que je comprenne que ce serait un Arthur d’il y a vingt ans et qu’en vrai, il avait déjà l’air moins reposé et nonchalant à l’époque.
Il y avait des embouteillages fous pour arriver jusque-là, Ubik en a sa claque alors on prend l’autoroute pour rallier Angers, et on arrive chez BBM vers 17h. Sans doute une des rares fois de ma vie où j’aurais enquillé quelques verres de soft avant de m’autoriser une bière et ce, même si théoriquement, « jamais avant 18h ». Nous passons la soirée à deviser et à tenter de saisir des étoiles filantes. La nuit est courte, notre ami s’est sans doute recouché après notre départ. Nous détalons vers le sud de Rennes et sa borne de recharge, et son fameux Madco hanté par le connard qui hurle : « vous m’accusez de mentir ? »
Il ne reste plus très longtemps. Christophe Hondelatte raconte des histoires, on commente pendant et après. On arrive à la maison juste à la fin de l’épisode sur Unabomber.
Dès qu’on sort de la voiture réfrigérée, la chaleur nous assaille. Une fois n’est pas coutume, on vide et on range tout de suite – on est contents d’être de retour, la maison est plus que familière, c’est chez nous. Malgré la douche, on languit et on fond sur les sièges gamers de nos bureaux respectifs.
Odeur d’ozone ce soir alors que le ciel est clair, juste abîmé de nuages qui oui, je crois que tu as raison Amour, peut-être qu’ils sont un trigger, en tout cas ils déclenchent un choc esthétique et existentiel qui m’a déjà laissée sanglotante sur un bas-côté. La température décroît sans vraiment encore nous soulager.
Il fait nuit, à présent. J’attends qu’advienne la promesse de l’orage ou la résignation au goût de sel, réminiscence de vagues nées de tsunamis pas si déconnectés les uns des autres. Aucune musique, à part l’album de Teho que je n’ai pas envie d’écouter une seconde fois, ne me semble apte à me rafraîchir sans me déconcentrer. Je lance la playlist 2024-08 de Dame Ambre, dessus il y a Fleuves, que LN m’a déjà recommandé d’écouter. Je me dis que les signes et le sens naissent de la cohérence.
Mais j’la trouve pas, la musique de cet été, la chanson qui va avec la chaleur et la langueur, mais surtout qui ne parle pas, en fait. J’ai une révélation, finalement, en écoutant la playlist « In my best English » de la frangine. Et ça a sans doute beaucoup plus de sens que tous les titres électro soft que je m’enfile dans l’espoir de trouver celui qui. Après tout, au début de ces vacances, il y avait déjà Sum 41 et le sourire devant les synchronicités.
Il fait plus doux, à présent.
6 commentaires
Il me semble que c’est le parc de Maulévrier ? J’y suis allée l’été 2004, si c’est bien lui. Ce n’était pas la bonne personne pour m’y rendre, mais j’espère un jour y retourner, le parc est d’une splendeur.. Si j’ai bonne mémoire, il y a un pont rouge sublime, japonais bien sûr, et un dojo (non, un kyudo me dit internet).. j’avais vu une personne en tenue traditionnelle, ça m’avait fait une forte impression de plongée dans le passé, comme une réminiscence…
Merci – beaucoup – pour la carte <3
Oui, c’est ce parc-là :)
Mais de rien <3
Bonjour,
Un plaisir que de lire le récit de vos vacances. Merci pour les belles photos et pour le vrai qui ressort de ces lignes. Ca manque ailleurs…
Merci, c’est un beau compliment !
Merci pour le voyage ! Morizot est partout alors ;-) je finis Sur la piste animale et je prends Manières d’être vivant pour les vacances. C’est vrai d’ailleurs que quand on part, c’est rarement pour se reposer… on a pas tant que congés que ça et j’essaye toujours de découvrir le plus de choses possibles (c’est potentiellement ce qui va se reproduire d’ici peu ^^).
Bravo pour la baignade naturiste et le pas que ça représente pour toi !
Il est partout parce que Dame Ambre et toi en avez parlé plusieurs fois récemment :P
ouh la la, moi quand je pars en vacances, j’essaie de me reposer, justement ! (c’est pas antinomique avec l’idée de découvrir plein de trucs, juste, je NE SUIS PAS du matin :D)